Commencer l’année avec de l’humour à la Fellag, c’est plus qu’amusant, c’est même salvateur par ces temps de grandes contradictions.
Dans son roman « Le mécano du vendredi« , Fellag nous renvoie à une Algérie de la fin des années 80, avec toutes ses incertitudes politiques, ses pressions sociales et psychologiques, ses pénuries culturelles et ses aléas de tous genres. Décrite dans toute sa réalité et sa splendeur, sans enfumage ni prise de pincettes. Cette lecture réconcilie tout ça dans une forme de relativisation : c’est un peu ça la vie quoi.
Comme au cinéma, et à travers des séquences bien cadrées et magnifiquement éclairées par les illustrations de Jacques Ferrandez (aussi né à Alger), Fellag explore encore une fois l’analogie entre les subtilités de la mécanique automobile et les rouages de la société algérienne. De ce fait, l’histoire rappelle et complète la fresque déjà présentée dans les précédents travaux de l’auteur : L’Allumeur de rêves berbères (Roman paru en 2007) et Tous les Algériens sont des mécaniciens (Spectacle écrit en 2008).
Un cœur, deux flammes
Dans cette lecture récréative, on accompagne Youcef, 38 ans, célibataire, vit chez ses parents, qui après avoir fait ses études à Moscou, travaille pour la télévision nationale algérienne comme « Réalisateur retraité ». C’est parce qu’il est « trop rêveur, trop ambitieux, iconoclaste, fainéant, inclassable, bizarre, révolté, il se prend pour qui celui-là ? », qu’on le paye pour qu’il rester chez lui, et on ne l’appelle que quand il y a besoin.
En parcourant les pages, qui se lisent très rapidement d’ailleurs, nous vivons avec notre protagoniste des aventures pittoresques avec son grand amour, qu’il aime à la folie, qu’il gâte à outrance, qui lui consume le tiers de son salaire et qui l’accompagne partout dans ses prouesses, sa Renault 4. Avec Zoubida, sa ZouZou d’amour, il fait des voyages, il tombe en panne, il trinque avec ses copains, il court les filles, mais court aussi pour trouver une batterie de voiture, rare en cette époque, et cause principale de leur malheurs et bouderies de couple.
Youcef, dans l’une de ses rondes en voiture, tombe un jour sous les charmes de son second amour, « Elle ». Après une enquête minutieuse, il connaît presque tout sur elle. C’est-à-dire rien du tout, à commencer par son prénom. Avec son beau regard perçant elle lui fait, littéralement, perdre les pédales.
L’autocritique par l’humour
Les éléments d’humour (même noir) et d’autodérision sont aussi présents dans le récit, que les signes de ponctuation. Que ce soit à travers des situations honteuses, lorsqu’en plein milieu de la cité et sous les regards inquisiteurs et moqueurs, la voiture tombe en panne, ou avec les scènes d’entraide spontanée par des passants totalement inconnus.
On a cette sensation de rapprochement avec une société qui se cherche à travers sa culture, ses composantes et son contexte.
C’est dans une période de pénuries et de pressions de tous genres (politiques, religieuses, sociales et personnelles), que la société algérienne, à travers notre héros, se réinvente, bricole et trouve des raccourcis pour fonctionner et vivre « normalement ».
Le printemps algérien
Il faut rappeler que l’année annoncée au début du texte n’est pas ordinaire. 1988, et précisément le 5 octobre 88, c’est la date d’un virage historique pour l’Algérie. Elle marque un soulèvement généralisé de la société, la fin du régime du parti unique, l’abondant du modèle socialiste et l’ouverture démocratique. Mais avant ça, on vivra un état de siège, un déploiement de 10.000 soldats rien que dans la capitale, 15.000 arrestations et 159 à 500 morts (selon les sources).
L’histoire se passe sûrement avant cette date.