01 :00 – Café La liberté – Wust El balad
L’extension du Caire fatimide verse dans le plus grand et enchanteur des bazars. Le chemin éclairé d’ampoules ornant les surfaces des boutiques qui se succèdent, nous nous frayons un passage en suivant le chant des appels de vendeurs d’épices, d’artisanat, d’antiquité et autres magasins de souvenirs qui se disputent la foule. Il est 8 heures du soir, Khan Khalili se réveille. Ses ruelles s’étirent pour accueillir les hordes de pieux sortant de la mosquée d’Al Azhar qui orne la place principale à l’entrée du souk. Ils se bousculent et emplissent les vertèbres entremêlées de cette resplendissante médina. Après la prière de l’Ichaa qui les a uni, leurs activités nocturnes les dispersent dans ce grand corps agité.
Après une nonchalance qui aura duré toute la journée, Khan Khalili qui se retournait encore sous le soleil étouffant, jouit des airs du soir pour essuyait ses sueurs accumulées.
La horde compacte à l’enceinte de la mosquée se divise en sous-groupes, certains se ruent vers les cafés-chichas et aussitôt assis, ils occupent leurs bouches d’un tuyau de narguilé en plastique. Les plus habitués ont leurs propres trompes colorées et authentiques, qui ne connaissent d’autres salives que la leur. A chaque gorgé de tabac parfumé, leurs longs et endurants soupires dégagent une fumée vaporeuse qui embrume les cieux de Khan. Les arômes et les senteurs de pomme, de menthe et de raisin fusionnent et chatouillent les narines des passants.
D’autres ont préféré se joindre à la queue des gourmands. Devant les rôtisseurs de Kebda (foi) et de bouilleurs de fouls (fèves), on se lèche les babines. L’embarras du choix en herbes digestifs à ingurgiter debout est ensuite proposé par des petites carrosses de boissons ambulantes. De longues cannes à sucre et autres fruits et légumes multiformes dépassent de leurs charrettes et intriguent les passants qui s’arrêtent scruter la liste de bienfaits cités sur les affiches bigarrées et clinquantes collées à la voiture en acier. « Remède au rhumatisme, douleurs intestinales, rhume aigu, aide à dépurer les reins », et j’en passe, les avantages sont innombrables. A en croire tous ces slogans, les pharmacies du coin n’avaient qu’à plus bien se tenir, leur faillite n’est plus qu’une question de temps.
Enfin, la foule à laquelle on s’est mêlé est celle des vagabonds, ceux qui ont préféré se dégourdir les jambes et profiter du spectacle joyeux de la plus orientale des médinas. Nos pas suivent le son des stéréos qui font retentir les prouesses vocales des grandes icônes du Tarab classique. De petits drapeaux colorés lient d’un côté à l’autre des moucharabiehs en bois tourné et nous enfoncent, en nous menant de porte à porte, dans les entrailles grouillantes de Khan Khalili. Nous passons, cette fois, notre chemin devant le plus ancien et fameux café du Caire, le Café Fishawi car on nous attend pour un concert à الربع – El Rab3. Ce soir, Egyptian Project joue.
On est si proche de la scène que l’on ne peut manquer aucun détail, dans la cour intérieure de cet ancien bâtiment à l’architecture islamiste, l’ambiance intimiste convient merveilleusement à la fusion frissonnante qui s’y produit. De temps à autre, un jeune égyptien traverse la scène, caméra à l’épaule, pour immortaliser ces moments. Chargé du développement de l’image du groupe, Moataz travaille actuellement sur un reportage dédié à Egyptian Project et leurs allers-retours permanents entre la France et l’Egypte. En effet, la curiosité pour l’instrument de l’Argoul, pousse Jérôme, le leader du groupe, à quitter Nantes pour venir apprivoiser les oasis égyptiennes. Attiré par le parfum musical dégagé par le Delta du nil, il y fait connaissance avec des maitres musiciens de tout bord. En 2006, l’intrigue que suscite les compositions de Jérôme à l’ordinateur pousseront Ragab (percussions égyptiennes) et Salama (violon et rababa) à l’accompagner dans ce projet de trip-hop sa3idi (apparenté aux chants de haute Egypte). Aujourd’hui, Egyptian Project s’apprête à sortir un deuxième album automnal.
La soirée se poursuit et dans un total respect des instruments traditionnels égyptiens, le son du synthétiseur porte ceux du Rababa et du Kawala retentissants. Nous quittons la salle, avec un fort sentiment partagé entre la profonde révérence et la libération .