16h30 – Korba
Heliopolis est un quartier où il fait bon vivre. On séjourne à quelques pas du palais présidentiel Kasr Al Ittihadiya قصر الاتحادية, ancien palace transformé en palais présidentiel. Au vue de la sécurité qui règne dans la région, nous n’arrivons pas à imaginer que ce même passage qu’on traverse au quotidien pour rejoindre la rue Baghdad a aussi été le théâtre d’affrontements entre des manifestants anti-Morsi et les forces de l’ordre. Passons. Je ne m’attarderai pas sur les faits politiques qui ont secoué les rues cairotes et qui continuent d’agiter l’esprit de ses populations, même si rares sont les conversations sincères qui font l’impasse sur les épisodes troublants qui ont rythmés la vie égyptienne ces dernières années.
Distinguées et animées, les rues d’Heliopolis pullulent de magasins, cafés et restaurants en tout genre et font le plaisir des consommateurs. La nuit, l’Egypte ne dort pas. Ses lumières artificielles ne s’éteignent que quand les lueurs naturelles apparaissent et que le soleil pointe. A peine, nous réussissons à dormir après l’excursion prenante de la journée, qu’une voix de femme stridente nous réveille. Sonnée, je marche machinalement telle une somnambule vers la fenêtre. Notre chambre, avec Hajar, donne sur la cour d’une école pour filles qui, avant de rejoindre leur salle de classe répondent à un rituel stricte. Chaque matin, un groupe d’écolières est choisi pour présenter un talent particulier : récital de poésie, lecture coranique, charades… tout se fredonnait sur un air scolaire monotone.
La chef d’orchestre, responsable de l’animation des passages et d’appliquer l’ordre et le silence dans les rangs de ce groupe de jeunes filles pré-pubères , répondait à un archétype particulier. Celui de la prof de sport que l’on ne voit jamais descendre au terrain. Celle qui est bonne à donner des ordres et dont la menace du regard ainsi que le ton de la voix suffisent pour motiver des inaptes à participer au triathlon. J’enfonce mes boules Quies et en une fraction de seconde, j’ose croire le calvaire fini quand soudain une musique plus forte retentit des baffles installées aux quatre coins de la cour. C’est le temps de chanter en chœur l’hymne national. Nous n’avons plus besoin de programmer différentes alarmes pour être sûres d’être debout, durant notre séjour cairote, la troupe philharmonique du quartier nous réveille en fanfare :
Toute ambition de jouir d’une grasse matinée étant évaporée, nous profitons des matinées pour écrire ou flâner dans le voisinage. La grande majorité de nos rendez-vous nous proposait des rencontres assez tardives et nous finissons par adopter le rythme égyptien. Pour aller savourer un café turc à la bibliothèque Diwan, j’ai pu traverser la longue avenue de la Ourouba. Allée infinie qui se divise en trois parties et change de noms en fonction du quartier qu’elle coupe. Je marche une bonne dizaine de minutes après avoir dépassé le palais du Baron Empain, et découvre les demeures somptueuses qui se succèdent sur mon passage avant de rejoindre le concept-store. Partout dans les grandes villes, certaines maisons d’édition possèdent des bibliothèques avec des espaces dédiés à un service de restauration et y organisent parfois des événements.
Cette partie de la ville est aussi connue pour être Masr Al Gadida, ou le nouveau Caire. Verte et paisible, elle résumait un art de vivre typiquement chic qui régnaient des années 40 aux années 60 dans l’Egypte d’autrefois. Les anciens habitants du quartier sont tous nostalgiques de l’élégance des passants, des dimanches matin à l’hippodrome ou encore du métro aérien et de ses musiciens. Une ambiance détendue assez particulière dont on ressent les effluves encore aujourd’hui et que résume si bien le jeune réalisateur Ahmed Abdalla dans son film Heliopolis: