Après Oran, Tlemcen et Mostaganem, nous arrivons à la ville blanche vendredi soir. Sur les coups de 22h, épuisés par le trajet, nos yeux qui se ferment de fatigue, luttent pour trouver le chemin de la rue Didouche.
Notre premier sentiment en arrivant, de nuit, dans la ville d’Alger est qu’elle est belle et lumineuse, mais curieusement vide à une heure qui reste correcte.
Les rues sont désertes et les restaurants fermés de bonne heure. Notre présence féminine nous vaut aussi quelques regards de biais.
Au fil des conversations avec les gens qui font la ville, chauffeurs de taxi , réceptionnistes d’hôtel et serveurs de cafés, nous comprendrons à quel point la décennie noire a laissé une peur qui reste très ancrée chez les gens et alimente un renforcement sécuritaire plus ou moins justifié.
Nous en avons nous-mêmes fait les frais, arrêtés quatre fois par des barrages policiers, fouille de bagages inclue.
« Avant, on pouvait rester jusqu’à minuit voire 2h du matin dans le café du coin », nous confie Mohamed, restaurateur au petit hôtel où nous avons élu domicile.
L’homme nous raconte des heures durant son rapport fait d’amour et de frustration vis-à-vis de cette ville dont il pleure nostalgiquement la vivacité d’antan.
Les acteurs culturels et artistes que nous rencontrerons régulièrement dans les cafés de la rue Didouche nous parlent aussi de cet âge d’or post-indépendance mais ils défendent la vivacité de la génération actuelle, qui use de moyens différents pour exprimer ses idéaux et regorge de créativité et d’initiatives. Alger s’offrira donc à nous en demi teinte, à la fois reine et déchue, belle et rebelle.
Alger est une belle ville blanche qui est devenue grise. Grise parce que les belles façades coloniales qui structurent la ville sont laissées à l’abandon et que la Casbah pleure silencieusement son éclat le jour où nous la visitons, sous une pluie battante. Accompagnés par Mehdi Hachid, acteur culturel qui deviendra très vite notre ami, nous découvrons ses zones d’ombres et de lumière. Du jardin de l’horloge à Ain Sbouja où nous nous rendrons avec une poignée de street artistes, nos balades nous mèneront aussi au monument des martyrs et son musée sanglant avec un rapide passage aux hôtels de l’Aurassi et Saint George, pour apprécier une vue d’ensemble sur la capitale.
Inspirée par la dualité de la ville, j’ai tenté d’immortaliser mes ressentis doux amers dans un poème.
Alger,
Nonchalamment allongée, tu es, face à la mer
Bordée de palmiers dattiers, traversée de vert
Avec l’horizon au loin et quelques vols d’oiseaux
Ton gris boude les moulures coloniales et les matelots.
Alger, belle, écorchée vive et brûlante
Tes regards sont timides mais tes danses entraînantes
Elles secouent tes monts laiteux et s’évanouissent dans la mer
Traversent les sillons bleutés et fuient ton univers.
Là où les frayeurs des fontaines épousent les rythmes des klaxons ;
Où la brise d’octobre frémit de feuilles, d’écumes et de sons
Les drapeaux verts et blancs font flotter le rouge
Les femmes de leurs mains retiennent les voiles qui bougent
Et frôlent leurs amoureux dans les jardins tapis
Puis s’esclaffent et gloussent, exultant, d’un plaisir interdit.
Dans les jardins du front de mer, les rendez-vous se tentent
Alors qu’un rythme marocain coule d’une guitare insouciante ;
Les hommes y sont assis, près des rosiers vermeils
Prédateurs à toute heure et nourris de soleil.
Déshabillées des regards des passants fiévreux,
Les femmes se font rares et les clins d’œil mielleux
Les remarques fusent et la ville se meut
Mugissant sensuellement d’un dernier souffle heureux
De rose vêtue, dans l’allée des mariées
Elle glisse sa traîne sur des vestiges enflammés
Attirant quelques passants, qui viennent danser
Autour de ses cheveux d’or, dans la nuit étoilée.
Mais le matin venu, sous une pluie battante
La Casbah pleure son âme vibrante
Ainsi que l’épave d’une résistance tremblante
Sous la colère grondante de la belle déchue
Forteresse blessée, d’amour déçue
Dont l’horizon disparaît dans la brume charnue.
Alger la noire et blanche, la princesse perdue
Ta vision hante les esprits et les âmes fendues.