Quand Brokk’art née en 2012, ce nouveau concept s’inscrit dans la suite logique de son agence de design porteuse Bergson & Jung. Derrière cette expansion, une designer-styliste et vidéaste qui a su se donner les moyens de ses ambitions et a osé s’éloigner petit à petit d’un design épuré mais plat pour une extravagance assumée.
De Bergson & Jung à Brokk’art
A Alger, l’agence Bergson & Jung a longtemps fait parler d’elle en se distinguant par la création d’un espace d’accueil et de travail particulier. En occupant une friche à Hydra, les bureaux des professionnels de l’architecture, design, aménagement et communication étaient convertis en lieu de rencontre et d’expression. Une seconde vie était possible en dehors des commandes et un espace artistique permettait aussi bien aux employés qu’aux étudiants et artistes qui fréquentaient l’endroit de respirer.
Après quelques années d’exécution de chantiers et de design d’objets fonctionnels pour les clients, Hania ressent le besoin de donner plus libre court à son imagination et décide de créer Brokk’art, véritable béquille qui lui permettra de s’accomplir en créant les objets oniriques qu’elle a toujours fantasmés.
Les affaires vont bon train et de simples accessoires de mode (pochettes, paniers, etc.), Brokk’art se lance aussi dans le stylisme et la production de mobilier.
Brokk’art est ainsi venu au secours de Bergson & Jung pour étendre son activité avec une identité plus fidèle à l’esprit de Hania. Sur le fil entre le design et la création artistique, l’imagination débordante de Princesse Zazou contamine ses réalisations de design.
Poussée à déménager du quartier d’Hydra après une augmentation exponentielle du loyer, Brokk’art s’est installé depuis janvier au quartier de Clairval dans deux espaces indépendants. Un petit salon habité par l’esprit éclectique et inédit de Brokk’art, accueillant des visiteurs sur rendez-vous, se trouve à quelques pas de la nouvelle Villa Brokk’art.
L’ambiance intimiste du concept store cède cette fois la place à la chaleur d’une maison familiale qui accueillera prochainement des ateliers qui mêlent art et cuisine dédiés aux grands comme aux petits.
Un Kitsch voulu et conscient
A la création de Bergson & Jung, Hania annonçait déjà le ton d’un esprit flâneur et indomptable. Au coté intuitif des recherches bergsoniennes s’ajoute la remise en question et le détournement de Jung pour une pensée créatrice conjuguant audace et pragmatisme.
Le choix de ce nom à consonance occidentale était une belle ruse pour améliorer la durée du traitement de dossier administratif. Les autorités concernées, contentes de voir que « Bergson & Freud » ce soit ‘’enfin’’ installé en Algérie », comme le précisait leur courrier, ne se doutait pas qu’il s’agissait d’une première entrée sur le marché d’une créatrice subtile.
Accessible au premier abord, la toile de Princesse Zazou attire et entraîne l’œil dans un tourbillon de couleurs et de motifs. Mais sous la couche vernis et criarde de ses impressions, une autre lecture dévoile une cogitation profonde – celle que tient Hania au profond d’elle-même.
A l’occasion de l’exposition intitulée « Chadi Madi Qalli Rassi » (version algérienne du Amstramgram – soit le jeu d’enfant permettant d’effectuer un choix au hasard), on découvre une réflexion détournée et fardée sur la politique.
Après une constatation de la frayeur ambiante et le formatage des esprits du fait d’un discours médiatique prêt-à-répéter et produit en temps record sans origine contrôlée, Hania développe une critique acerbe en choisissant plusieurs coupures presse et les déconstruit avant d’affirmer son identité en tant qu’algérienne.
Dans ses travaux, plusieurs tableaux se dissimulent. Chaque œuvre se voit avec les autres et donne à décrypter des signaux.
Un poisson sur les yeux signalent des eaux troubles, une face de lapin en bas résine et talents rouges n’est autre qu’un homme des médias. Tantôt orientés, tantôt désorientés, des indices relèvent avec ironie des situations absurdes comme ces ballons flottants, qui rappellent finalement que le seul moment où l’on accorde aux algériens l’opportunité de réfléchir est celui dédié aux fennecs nationaux.
Le sport comme opium et les médias comme hypnotiseurs, voilà une des lectures possibles subtilement suggérée par l’artiste de l’état somnambule de la société.
Dans ses collages, Hania manipule aussi des images de maghrébines pour dénoncer le bain de clichés néo-orientalistes .
Une princesse aux manches rehaussées
Seule fille de sa famille, la princesse de son papa, Hania Zazoua n’a pas suivi des chemins tout à fait tracés. Après des études à l’Ecole des Beaux Arts d’Alger en section architecture d’intérieur, elle s’en va à l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence. En France, une galère jouissive l’attend. Elle enchaine les petits boulots et fait preuve de beaucoup de débrouillardise.
Elle s’est fait connaître sous le pseudonyme de « Princesse Zazou », directement inspiré de son nom de famille « Zazoua ». Ce titre princier ne plait pas toujours à Alger, mais sa ténacité en temps de crise et son endurance pour mener à bien son aventure prouvent bien sa grâce et contredit ses détracteurs.
Les difficultés, Hania les a bien connu mais a toujours su s’en accommoder. De nounou d‘enfants à garde-malade, ses expériences en France forgeront son esprit et confirmeront son indépendance. Parallèlement à sa double vie d’étudiante-employée, elle se renseigne sur les procédures de création d’entreprise et les démarches administratives à effectuer.
Son retour en Algérie est ainsi marqué par une boulimie entrepreneuriale et une grande volonté de faire qui trébucheront face à des rouages administratifs plus lourds, lents mais surtout aléatoires. Loin de baisser les bras, Hania réussit grâce à son ingéniosité à se relever avec plus d’assurance et à contourner les goulets d’étranglement qui jalonnent le parcours d’un jeune entrepreneur en Algérie.
Depuis, les idées fusent et le fantastique règne dans un royaume qu’elle crée de toutes pièces pour le plaisir des yeux, des émotions et esprits rêveurs.