C’est encore une fois rue Didouche que nous rencontrons Mourad Krinah pour échanger à propos de son expérience personnelle dans l’art et de son implication dans le Box 24. Au gré des salutations qui se succèdent dans ce carrefour d’artistes, nous finissons par former un petit groupe animé, complété par Mehdi Djellil et Arslane Mouloudi co-fondateur du Magazine Wello.
Depuis tout petit, Mourad s’intéresse à l’image. Après une formation de design graphique aux beaux arts d’Alger, Mourad est rapidement repéré par les commissaires et se retrouve à exposer en Algérie mais aussi au Maroc, en Italie, en France, en Grande Bretagne, aux Etats Unis, au Sénégal et en Afrique du Sud. Mais même si ses œuvres ont fait le tour du monde, Mourad reste fermement attaché à sa terre natale, et nous confie avoir à Alger des habitudes qu’il ne lâcherait pour rien au monde. En plus d’être artiste, Mourad est aussi un acteur culturel qui œuvre pour structurer la scène algéroise et organise régulièrement des manifestations.
Les images médiatiques et leurs déclinaisons
Sa terre natale est aussi sa terre d’inspiration où il puise des sujets toujours subtilement critiques avec un sens de l’esthétique et du motif qui ne laissent rien au hasard. « Mon travail est un regard sur ces images médiatiques qui sont produites et diffusées tous les jours. Ce qui m’intéresse ce n’est pas les images elles mêmes mais la perception qu’on en a » nous dit Mourad.
C’est donc toujours à partir d’un matériau accessible et intelligible que Mourad travaille, pour mieux « en désamorcer le message par l’esthétique ». L’artiste utilise donc ces motifs en les mettant côte à côte, en travaillant leur graphisme ou en leur redonnant un éclat coloré ; le résultat questionne ainsi notre manière de recevoir l’information.
Dans « la valse du samedi », qui capture une ronde de policiers tourbillonnant autour d’une manifestation; Mourad dessine les contours d’une contestation digne d’une pièce de théâtre. « En 2011, nous raconte t il, les manifestations qui ont essaimé à Alger, se déroulaient tranquillement tous les samedi ». C’est donc un jour de weekend que les policiers et les manifestants revêtaient chacun leurs uniformes pour aller danser devant les caméras, virevoltant au gré des accrochages et des contestations.
« En Algérie, il n’y a pas de réelle opposition constituée. Une des raisons pour lesquelles la contestation est restée lettre morte réside dans la nature des revendications, plus sociales et économiques que politiques ».
Une esthétique du dévoilement
C’est dans le même esprit que Mourad s’est emparé de la figure du policier en en faisant un zellige bleu et blanc. Toujours subtil, le message n’est jamais servi au spectateur sur un plateau d’argent, il se dévoile entre les lignes.
« On est tellement bombardé d’images qu’on ne les voit plus ».
Lorsqu’il était en résidence au Maroc, à Trankat à Tétouan, Mourad s’est beaucoup inspiré des motifs de zellige des maisons mauresques pour tapir le message. Parfois, les gens passaient devant sans même remarquer le message glissé en dessous des formes familières de ce motif ancestral.
Les œuvres de Mourad ont plusieurs vies. A titre d’exemple, le graphisme de l’œuvre « They Occupy Algiers » s’est ensuite transformé en papier peint, déroulant ainsi des kilomètres de policiers. Comble du paradoxe, l’artiste nous confie avoir aussi été contacté par un journaliste d’El Watan pour illustrer les manifestations de policiers ayant eu lieu quelques années plus tard.
Le Box 24
Pour diffuser l’art et élargir son accès, Mourad ne travaille pas seul. Il a en effet participé à la constitution du Box 24, initialement conçu pour garder le lien entre les anciens, les professeurs et les étudiants mais qui organise plus généralement des expositions et des rencontres artistiques.
Actif depuis 2008, le collectif Box 24 a déjà organisé deux éditions de l’exposition Picturie Générale et travaille actuellement sur la troisième. Il s’est également récemment doté d’un local que nous visiterons en la compagnie de Walid Aidoud, un autre des piliers du Box.
L’esprit de cette exposition qui rassemble d’autres collectifs comme anaabaartscene est de proposer « une alternative par rapport aux démarches et modes de représentations conventionnels en explorant une imagerie qui dénote face aux modèles dominants ».
Picturie Générale (mawad faniya 3ama) est donc à la fois un évènement artistique et « un lieu mobile alternatif qui n’est fidèle ni à une date ni à un espace précis ». L’appellation adoptée par les artistes vient d’une proposition de l’un d’entre eux, Zineddine Bessaî, qui voulait détourner l’expression « Alimentation générale » s’affichant sur les façades de toutes les boutiques qui vendent des produits alimentaires. C’est donc un écho à la consommation, reprise dans un cadre artistique pour inviter à l’auto dérision tout en se distinguant des actes dits « alimentaires » et routiniers.
Rassemblant seize artistes autour de ces idées, la deuxième édition de Picturie se visite comme un vrai panorama de l’art « alternatif, résistant et émergent en Algérie ». En en feuilletant le magazine, on y découvre les toiles de Walid Aidoud explorant la représentation de l’image brouillée que nous renvoie le quotidien ; les bouffonneries vaniteuses de l’homme sculptées par Mehdi Djelil ; mais aussi l’ironie eu égard au pouvoir et à sa disparition entre les lignes, par Mourad Krinah.
A l’occasion de notre deuxième rencontre, cette fois ci dans leur local, Mourad et Walid nous parlent aussi de leur projet pour la troisième édition. Après Artissimo puis la Baignoire, c’est dans un ancien marché du centre ville que devrait se tenir la prochaine exposition pour élargir encore davantage l’accès à l’exposition et brasser les publics. La scène locale sera encore une fois mise à l’honneur et Mourad nous parle notamment de certains des artistes émergeants que nous avons rencontré sur notre parcours, comme Yasser Ameur et Faress Yessad.
Au delà de Picturie Générale, Box 24 se définit comme un espace « sans structure rigide, multiforme et à géométrie variable. ». C’est avant tout un espace mental, accoucheur de projets et d’initiatives qui mettent l’art et la réflexion à l’honneur. Nos rencontres avec les acteurs et artistes qui y participent nous ont donné un aperçu d’une réelle alternative à l’art officiel, qui respire de fraîcheur, de critique et d’auto dérision.
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