C’est la première exposition en France consacrée au groupe Art et Liberté (jama’at al-fann wa al-hurriyyah). « Art et Liberté : Rupture, Guerre et Surréalisme en Égypte (1938–1948) » s’installe jusqu’au 16 janvier 2017 au Centre Pompidou avant de poursuivre sa tournée européenne.
Sur invitation de Catherine David, la directrice adjointe du Musée national d’art moderne en charge du service « recherche et mondialisation », les commissaires indépendants Sam Bardaouil et Till Fellrath, connus également par leur plateforme curatorial Art Reoriented, proposent une contribution nouvelle à l’histoire de l’art moderne égyptienne. Ces derniers ont décidé de concentrer leur approche sur l’Égypte, de 1938 à 1948 à travers trois thématiques : rupture, guerre et surréalisme. Spécialistes du groupe d’artistes exposé : Art et liberté (jama’at al-fann wa al-hurriyyah), ils mettent en place un parcours pensé durant cinq années de recherche et plus d’une centaine d’entretiens réalisés en Égypte et dans le reste du monde1. Pendant trois mois, le niveau 4 du Centre Pompidou accueille plus de cent-dix œuvres (peintures, dessins, photographies, …) datant des années 1920 et allant jusque dans les années 1950. Parallèlement, plus de cent-cinquante documents d’archive : des photographies et des films historiques mais aussi des manuscrits, permettent de recontextualiser le surréalisme en Égypte. En réunissant ces œuvres et ces documents, empruntés à plus de quarante-six collections Égyptiennes et dans douze autres pays, cette exposition est la première à mettre en place une chronologie précise de cette période de l’histoire de l’art égyptienne tout en donnant une vision globale du groupe Art et Liberté.
Vive l’art dégénéré !
L’exposition rassemble autour de Georges Henein, grande figure du groupe, une constellation d’artistes et d’écrivains résidant au Caire dans les années 1930 et 1940. Ainsi, la genèse du groupe Art et Liberté, se fit à travers la publication de leur manifeste intitulé « Vive l’Art Dégénéré »2. Cette publication du 22 décembre 1938, se voulait en réaction contre l’idéologie fasciste.
À la fin des années 1930, le fascisme commençait à s’installer dans plusieurs pays y compris l’Égypte. Le manifeste fait évidemment écho aux politiques culturelles du IIIe Reich d’Hitler qui condamnèrent l’art moderne, dit « dégénéré » en faveur d’un art officiel, dit « héroïque ».
« Intellectuels, écrivains, artistes ! Relevons ensemble le défi. Cet art dégénéré, nous en sommes absolument solidaires. En lui résident toutes les chances de l’avenir. Travaillons à sa victoire sur le nouveau Moyen-Âge qui se lève en plein cœur de l’Occident »3.
Ainsi, le groupe de jeunes artistes, d’écrivains, d’intellectuels et d’activistes en pleine ébullition vont mettre en place un réseau hétérogène pour mettre en valeur la culture et la politique à travers des dynamiques locales et internationales. Cette exposition montre d’ailleurs très bien que le groupe Art et Liberté évolua au sein d’une plateforme surréaliste internationale et complexe au sein des villes de Paris, Londres, Mexico, New York, Beyrouth et Tokyo. À travers leur nouvelle définition du surréalisme, le groupe souhaite atteindre un nouveau langage, aussi bien par la production littéraire que dans la peinture, engagé dans des débats qui vont autant toucher des thématiques globales que les politiques régionales ou nationales de l’Égypte.
Le surréalisme égyptien en huit espaces
Pensée au sein de huit espaces, l’exposition Art et Liberté oriente le visiteur sous différentes approches intrinsèques les unes aux autres mais utiles pour cerner les thématiques principales.
Le premier concerne la genèse du groupe, ses motivations et la gravitation autour de Georges Henein, figure de prou du mouvement en Égypte.
« Il est nécessaire de déclarer ici que la publicité de n’importe quel bottier américain est infiniment plus émouvante que la meilleure des toiles exposées au Salon annuel du Caire… Ces malheureux ne comprendront jamais que peindre est aussi une façon de penser, d’aimer, de haïr, de combattre et de vivre. »
Art et Liberté, « IIe exposition de l’art indépendant », 1941
Le second aborde son évolution dans un contexte de guerre approchant et la nécessité pour les artistes de s’engager politiquement et culturellement. Les deux espaces suivants présentent la représentation des corps fragmentés dans les peintures de Mayo ou de Hassan el-Telmisani, et de la prostituée comme celle peinte dans La Femme aux Boucles d’Or de Ramsès Younane, un manifeste de cette génération. En 1938, Ramsès Younane et Kamel el-Telmisany mettent en pratique une esthétique personnelle qu’ils nommèrent « le Réalisme Subjectif » ou l’« art libre ». Le réalisme subjectif tend à montrer et à jouer avec des symboles identifiables dans des œuvres préalablement pensées sous l’impulsion du subconscient pour révéler les différents discours de la société égyptienne. La section suivante ouvre sur la formation du Groupe de l’art contemporain constitué de jeunes artistes avec notamment Abdel Hadi el-Gazzar, Hamed Nada et Samir Rafi. Ces derniers vont mettre en place une esthétique dite authentique et égyptienne en rupture avec le groupe Art et Liberté. La photographie d’inspiration surréaliste fut de plus un autre médium que l’on peut rapprocher du surréalisme en Égypte, que ce soit dans la pratique d’Angelo de Riz, d’Ida Kar et de Lee Miller ou dans les influences de Van Leo et de Khalil Abduh. Le dernier espace est consacré à celui des lettres et de l’édition. En effet, en plus des arts visuels la production littéraire était très riche, notamment grâce à deux importantes maisons d’éditions : La Part du Sable et les Éditions Masses.
L’exposition Art et Liberté sera par ailleurs en itinérance au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid, du 14 février 2017 au 28 mai 2017; au Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen de Düsseldorf, K21 Ständehaus, du 15 juillet 2017 au 15 octobre 2017 et enfin à la Tate Liverpool, du 10 novembre 2017 au 11 mars 2018.
1 . Sam Bardaouil, Surrealism in Egypt: Modernism and the Art and Liberty Group, I.B. Tauris, London, 2016.
2 . Les signataires du manifeste furent les suivants : Ibrahim Wassily, Ahmed Fahmy, Edouard Pollack, Edouard Levy, Armand Antis, Albert Israel, Albert Koseiry, Telmessany, Alexandra Mitchkowivska, Emile Simon, Angelo Paulo, Angelo De Riz, Anwar Kamel, Annette Fadida, A. Paulitz, L. Galenti, Germain Israel, George Henein, Hassan Sobhi, A. Rafo, Zakaria AL Azouny, Samy Riad, Samy Hanouka, Escalette, Abd El Din, Mohamed Nour, Nadaf Selair, Hassia, Henry Domani.
3 . http://www.egyptiansurrealism.com/index.php?/contents/manifesto/ (consulté le 08 novembre 2016).