Le 1er Octobre, l’Institut français du Liban organisait la Folle Journée Street Art. EpS, l’un des pionniers du graff libanais, guidait alors un groupe de curieux à travers le quartier Mar Mikhaël à Beyrouth, sur les pas des street artists de la zone.
Au détour des rues, dans un vieux parking et sur les murs de la gare abandonnée; les promeneurs découvrent une profusion de tags, lettrages, flops et personnages. Quelques noms reviennent : EpS, Phat2, Exist, Ashekman, Meuh, Kabrit…
Lorsqu’EpS commence à peindre en 2010, le graffiti est en pleine éclosion au Liban. Une poignée d’artistes – ceux dits de « la première génération » – profite d’un relatif silence de la part des autorités pour commencer à recouvrir les murs de la capitale de ses bombes de peinture. Les premiers entraînent les seconds, le mouvement naît.
Dans cette communauté, EpS, jeune libanais ayant grandi en Côte d’Ivoire, ne tarde pas à se faire connaître. « Il n’y avait pas beaucoup de graff dans la rue. Quand je disais que je graffais, on me demandait où, et je m’apercevais qu’on m’avait déjà repéré. »
S’il peint aujourd’hui aussi bien des lettrages que des personnages, le style d’EpS rappelle son goût pour la typographie et la BD. « Je travaille souvent en aplat de couleurs, j’aime les lettrages graphiques ». C’est surtout le personnage du singe – écho d’une enfance passée en Afrique – qui semble être devenu la signature du graffeur. On le retrouve un peu partout sur les murs de la capitale, et il peut surprendre.
Le singe a une symbolique qui m’est chère, confie EpS. Communautaire et ultra territorial, il s’inscrit dans l’esprit du graffiti. C’est un animal et pourtant, depuis une façade, c’est lui qui observe les hommes.
Si le graff est une affaire de territoires, la multitude de murs gris, d’immeubles en ruine et de chantiers abandonnés laisse jusqu’à présent de la place pour tout le monde dans la capitale libanaise. Pour les Beyrouthins, tout est à embellir. Et pour les graffeurs, la ville devient un véritable terrain de jeu. « Quand je choisis un spot, que je suis le premier à y peindre un petit singe et que tout le monde vient ensuite peindre à côté, c’est top. Ce principe fait partie des règles du jeu internes du graff », explique EpS. La compétition, saine, donne lieu à une véritable émulation.
Bien qu’il soit né pendant le conflit israélo-libanais de 2006, le graffiti n’aborde pas systématiquement des sujets politiques et contestataires. « Des messages sociaux, j’en ai faits. Mais je crois que les gens ont besoin de souffler, de voir autre chose. Ne pas parler de politique, ne pas parler de religion, c’est déjà une contestation en soi. Pour moi, le message, c’est le fait même d’aller dépenser des centaines de dollars pour acheter des bombes de peinture et colorier un mur dans la rue ».
En quelques années seulement, la scène libanaise s’est complètement ouverte à l’international. « En 2012 s’est tenue à Beyrouth l’exposition White Hall, en association avec la Fondation Saradar », se rappelle EpS. « Pour nous les graffeurs libanais de la première génération, qui avions fait nos armes seuls, c’était une vraie claque. On était pour la première fois confronté à des artistes étrangers qui avaient beaucoup plus d’expérience. Mais ce fut très positif. Chacun a compris quelle qualité de travail et quelle vitesse d’exécution il pouvait atteindre, puis a trouvé son style. » Aujourd’hui, les grands noms du street art international – attirés par le vent de liberté qui souffle sur le Liban – sont de plus en plus nombreux à faire un détour par Beyrouth.
Pour EpS, le graff libanais a bien sûr un bel avenir devant lui. « Les nouveaux venus ont tous les outils pour réussir et même pour faire mieux que nous. Les événements et les expositions se multiplient, attirant des artistes de renommée internationale comme Retna ou Finok. Il ne fait plus aucun doute qu’à Beyrouth, le graff intéresse. Ce n’est que le début ».
En tête de l’agenda street art ce mois-ci, la deuxième édition de l’exposition Urban Dawn s’est invitée dans la capitale libanaise. On y retrouve une sélection de 120 œuvres d’artistes internationaux et locaux, et le singe d’EpS n’a pas manqué le rendez-vous.
Urban Dawn II
The Factory Lofts (Mar Mikhael, ancienne station de train)
Du 14 octobre au 13 novembre 2016
http://www.curator1990.com/
Pour en voir plus sur EpS, retrouvez-le sur sa page Facebook et sur Instagram:@akaeps.