L’appartement 22, espace pionnier de création contemporaine au Maroc, situé en plein cœur de Rabat, accueille l’exposition De la mer à l’océan, signée Younès Rahmoun, autour de la notion de l’ici/maintenant.
Younès Rahmoun n’a pas tardé à se démarquer de la scène contemporaine marocaine. Le jeune artiste, natif de Tetouan, est aujourd’hui considéré comme l’un des artistes les plus brillants de sa génération. C’est en complicité avec son mentor, Abdellah Karroum, curateur de l’exposition et fondateur de L’appartement 22, qu’il nous présente son oeuvre Markaba.
Markaba مركبة (véhicule ou vaisseau en français) évoque d’emblée un ailleurs, un déplacement. L’objet sculptural nous interpelle d’abord par son étrangeté et semble atterrir de nulle part. Formé de six pyramides en cuivre, il affiche une silhouette singulière très géométrique. Sur les esquisses, le volume apparaît d’abord suspendu, flottant, puis posé sur terre à quatre pieds. L’objet est-il plein ou creux de l’intérieur ? L’observateur est incité à venir explorer cet objet mystère et à l’appréhender selon sa propre perception.
De la mer à l’océan : une oeuvre en déambulation
Avant de se poser entre les murs de L’appartement 22, Markaba a d’abord établi une longue traversée, entre le lieu de production ( les ateliers de Fès ) , le lieu d’intervention ( Le Rif, le bord de la méditerranée et de l’océan ) pour arriver ensuite à l’espace d’exposition. Un déplacement qui se reflète sur la surface du cuivre qui s’use et retrace ainsi le voyage entre les lieux et le passage du temps. La thématique du déplacement est récurrente dans l’oeuvre de Younès Rahmoun, ainsi que celle de l’ancrage à la terre natale, le Rif, qui reste très présent dans son travail.
Un ailleurs, In aliore loco-dans un autre lieu-. L’objet nous fait voyager dans un espace autre que celui où nous sommes. Les frontières géographiques se confondent, les lieux se superposent, entre le bord de la méditerranée qui s’apparente comme un espace frontière réel et symbolique, l’océan dans son immensité et le Rif, un lieu chargé d’histoire ( colonialisme, guerre chimique, immigration etc.) .
Dans ses déplacements, l’objet interagit différemment selon le lieu, le contexte prend alors part dans sa signification. Les espaces d’expédition suggèrent ainsi une perspective artistique qui va au-delà des espaces existants. De cette manière, une oeuvre d’art n’est pas uniquement l’objet ou le thème, c’est aussi la relation et les rapprochements faits entre les lieux, les espaces, les êtres et les choses qui nous font ainsi prendre conscience du monde.
L’ici/maintenant : une réflexion sur le temps et l’espace
Chaque pyramide indique une direction, les sommets représentent les points cardinaux : nord, sud, est et ouest. Les axes se croisent au centre de la Markaba. Ces repères géographiques viennent conférer un sens de l’orientation à cet objet perdu, suspendu dans le temps.
L’oeuvre interroge essentiellement la notion de l’ici et maintenant الآن و الهنا, qui est la base du travail de Younès Rahmoun. Cette notion émane de ses premières réflexions sur l’acte d’inscrire, par le dessin, le présent et la conscience de l’espace.
A l’intérieur de la Markaba, on introduit la partie haute du corps, le buste, que Younès considère comme étant la plus noble: elle allie le cerveau et le cœur, comme une communion entre les deux. Une fois dedans, nous sommes au centre vers lequel tout converge. Comme dans une coquille de mer, l’écho retentit et les bruits de la mer résonnent. Nous nous retrouvons alors face à nous-même, conscients de soi et de notre présence. Devant les reflets miroitants des différentes facettes des pyramides, notre présence se multiplie. Nous sommes encerclés par notre propre image, notre reflet nous guette, au moindre geste à chaque coin. La confrontation à soi est-elle déstabilisante, angoissante? Où est-ce un moment de paix avec soi et de méditation ? Quel rapport entretient-on avec soi et son image ?
Entre soi et le monde
L’objet nous amène à nous interroger sur notre rapport à soi mais aussi sur notre rapport au monde. Sommes-nous faits de morceaux, de fragments du monde qui viennent s’assembler pour n’en former qu’un ? Où sommes-nous, à l’origine, des êtres complets qui se dispersent une fois en contact avec le monde qui nous entoure ? Quel rapport entre intériorité et extériorité ?
En explorant l’objet à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, où l’expérience diffère, celui-ci nous ouvre également une piste de réflexion sur l’être et l’apparent الظاهر و الباطن.
ظاهر مضيئ و باطن مضاء
Apparent lumineux, interne illuminé
L’exposition est à découvrir du 25 juin au 15 septembre 2016 à L’appartement 22.