La Fondation Dar el Nimer de Beyrouth inaugure à partir du 25 mai la première exposition satellite internationale du Palestinian Museum avec At the Seams, une histoire politique de la broderie palestinienne.
Toutefois, ce n’est pas une mais deux inaugurations qui mettront à l’honneur la Palestine ce mois-ci. Entre l’ouverture du Palestinian Museum à Beir Zeit, en Palestine le 18 mai, et l’inauguration de la Fondation Dar el Nimer à Beyrouth, au Liban le 25 mai, le printemps 2016 met à l’honneur la culture palestinienne au Levant.
Un événement attendu depuis longtemps
Cela va maintenant faire dix-huit ans que l’ouverture du Palestinian Museum, maintes fois reportée, se fait attendre. Première institution publique dans son genre dans les territoires palestiniens, elle a pour but de diffuser très largement la culture et l’héritage palestiniens. Pensé par la Taawon-Welfare Association[1] en 1997, le musée avait pour premier objectif de documenter la période de la Nakba (la catastrophe, en arabe), qui a touché la Palestine moderne avec l’expulsion de plus de 60% de la population arabe à la suite de la création de l’Etat d’Israël en 1948. Malheureusement, les complications de la deuxième Intifada en 2000 (soulèvement des Palestiniens contre la colonisation israélienne) gelèrent la réalisation du musée.
Par la suite, son directeur Mahmoud Hawari et son équipe décidèrent d’ouvrir ses thématiques pour mettre plus largement en valeur la culture palestinienne, car ouvrir une institution uniquement sur l’histoire de la Nakba risquait de l’enfermer dans une image de commémoration alors que le but était d’aller vers la construction. Grâce à la conservation d’archives, la mise en place de workshops et bientôt d’expositions à partir du mois d’octobre 2016, l’ouverture de ses portes et de sa programmation culturelle le 18 mai prochain excite notre curiosité.
Un projet transnational
La spécificité du Palestinian Museum réside dans sa localisation géographique, dans les territoires occupés, sur le campus universitaire de Beir Zeit au nord de Ramallah. Bien qu’il soit primordial que les Palestiniens bénéficient d’une institution indépendante qui retrace et mette en valeur sa culture, le lourd conflit dans lequel sont enlisés les territoires palestiniens avec l’Etat d’Israël complique les échanges avec le monde arabe. L’équipe du musée a donc trouvé intéressant de faire éclater les frontières de son musée en concevant des projets curatoriaux dans les institutions des pays du monde arabe engagées pour la diffusion de la culture palestinienne.
L’implantation de programmes culturels et d’expositions satellitaires en dehors de la Palestine n’est pas anodine. Depuis l’exode palestinien de 1948 à aujourd’hui, nous pouvons retrouver de larges communautés palestiniennes disséminées dans les villes d’Amman en Jordanie, à Beyrouth au Liban ou encore à Dubaï aux Emirats arabes unis s’il ne fallait évoquer que le monde arabe. Le Palestinian Museum est donc pensé comme une plateforme, une maison mère qui inscrit les Palestiniens dans un paysage vernaculaire en revendiquant son patrimoine et sa culture qui sont malheureusement encore contestés aujourd’hui.
Ce sera un musée qui défiera les frontières géographiques et politiques, et unira les Palestiniens, chez eux ou en exil. [2]
Les satellites internationaux de l’institution vont rassembler les communautés palestiniennes qui ne peuvent rentrer chez elles à cause de leur expulsion, mais aussi consolider un sentiment culturel rhizomatique. En plus des valeurs transnationales de la plateforme du Palestinian Museum, sa participation en 2014 et de nouveau cette année à la troisième biennale internationale de Qalandiya (Qalandiya International), du 5 au 31 octobre prochain, centrée sur la thématique du retour[3] (‘’This Sea Is Mine’’: An Exploration of the Subject of Return), aux côtés d’autres institutions palestiniennes de renom, qui l’insère pleinement dans le champ culturel et artistique palestinien.
L’inauguration en aval de la Fondation Dar el Nimer pour l’art et la culture au Liban
C’est avec l’inauguration de la Fondation Dar el Nimer (la Maison d’el Nimer) pour l’art et la culture dans le quartier Clémenceau, en plein cœur de Beyrouth, que s’ouvre le premier événement international du Palestinian Museum. Rami el Nimer, grand collectionneur palestinien d’art islamique, a racheté la Villa Salem pour créer une fondation, dirigé par Rasha Salah, qui présentera sa collection et mettra en valeur des productions culturelles en tout genre défendant l’histoire moderne et contemporaine de la Palestine et du monde arabe.
La fondation du Dar est un « acte de résilience et de commémoration contre la suppression moderne de la mémoire et la distorsion de l’identité[4] », confie Rami el Nimer pendant la conférence d’inauguration du bâtiment.
Une programmation foisonnante
C’est avec la présentation de l’exposition At the Seams, sous le commissariat de Rachel Dedman[5], que la fondation ouvre en grand les portes de la Villa Salem. Elle accueillera ensuite des performances et des installations sur le thème du retour, du 5 octobre au 5 novembre, dans le cadre d’un projet satellite de la biennale de Qalandiya.
Au début de l’année 2017, elle proposera une exposition intitulée Midad (encre ou crayon), pensée exclusivement à partir de la collection très éclectique d’art islamique de Rami el Nimer. Des objets de toute forme en lien avec la calligraphie sont exposés et rendent hommage à la prestigieuse collection el Nimer par des créations inédites d’artistes contemporains vivants à Beyrouth (Lawrence Abu Hamdan, Raed Yassin et Roy Samaha font partie des artistes commissionnés pour cet événement).
En mai 2017, le Dar ouvre ses portes pour accueillir l’itinérance de « Past Disquiet », l’exposition qui a connu un vif succès, sous le commissariat de Rasha Salti et de Kristine Khouri, en redonnant naissance à l’International Art Exhibition for Palestine organisée par l’OLP[6] à Beyrouth en 1978. Cette exposition propose une histoire conceptuelle à travers l’archive des pratiques artistiques et muséographiques politiquement engagées dans des mouvements de solidarité anti-impérialiste des années 1970. En redonnant vie à cette exposition interrompue et endommagée durant le siège de Beyrouth par les Israéliens en 1982, les deux commissaires déterrent et raccrochent sur les cimaises des documents qui vont nous délivrer des récits passionnants.
At the Seams, une histoire politique de la Palestine à travers ses broderies
At the Seams (au niveau des coutures) inaugure le 25 mai prochain la première exposition satellite du Palestinian Museum à la Fondation Dar el Nimer. Conçue et présentée par Rachel Dedman, elle met en parallèle une histoire politique de la Palestine à travers la broderie palestinienne. Cette généalogie des savoirs et de la culture palestinienne retrace intelligemment la façon dont la broderie a évolué depuis le début du XXe siècle jusqu’au début du XXIe siècle en prenant en considération tous les bouleversements vécus par les Palestiniens. Cette exposition mettra de ce fait en exergue les changements de style perçus depuis 1948 qui ont amené cet artisanat à prendre des partis-pris très intéressants autant dans le domaine de la mode que dans celui des revendications palestiniennes.
Partant de techniques et de savoir-faire traditionnels, les motifs évoluent en fonction des événements et vont représenter les différentes manifestations du nationalisme, du militantisme et de la résistance tout en évoquant aussi la puissance économique et la violence de l’Etat d’Israël. L’exposition tourne principalement autour du thobe, un long vêtement arrivant jusqu’aux chevilles, généralement à manches longues et très connu dans le monde arabe. En partant de cette pièce de vêtement, la commissaire de l’exposition a décidé de questionner sa fabrication avant et après les événements de 1948.
Ainsi sont exposés différents types de broderies sur ces vêtements tels que le changement du motif en fonction des régions puis dans les camps de réfugiés ; l’adaptation de la mode des femmes palestiniennes dans le Beyrouth des années 60 ; l’utilisation de la broderie comme un élément de revendication de la Palestine historique par des artistes engagés ; mais aussi comme une forme de résistance, à en croire les formes des robes portées par certaines femmes pendant l’Intifada. En parallèle, la circulation de la broderie sur le marché mondial par les ONG permit une visibilité différente, entre consumérisme et militantisme ; enfin la broderie d’aujourd’hui propage sur le tissu des formes contemporaines et conceptuelles inédites grâce au talent de jeunes artistes et designers palestiniens[7].
Broder le fil de l’histoire
Cette mise en scène de l’histoire d’un peuple par un élément matériel, le textile et la broderie, pointe subrepticement du doigt les changements politiques et sociaux par les représentations qu’il sous-tend. En plus de l’exposition de ces magnifiques thobes, Rachel Dedman va plus loin et décide de construire un travail de réflexion qui fait dialoguer les objets avec des peintures, des photographies et des documents d’archives.
De plus, un film commandé à l’artiste Maeve Brennan vient s’ajouter à l’exposition. Il documente et interroge des femmes jordaniennes, libanaises et palestiniennes qui continuent à exercer la broderie encore aujourd’hui. Leurs anecdotes issues de leur expérience mais aussi leurs opinions forment un discours qui est très peu diffusé aujourd’hui, tout comme la collection de robes qui va nous être présentée le 25 mai prochain. Rachel Dedman et l’équipe de la fondation Dar el Nimer espère que cette exposition sera le début d’une itinérance dans d’autres institutions, voire qu’elle atterrira un jour en Palestine, mais rien n’est sûr à l’heure actuelle.
L’exposition At the Seams, sous le commissariat de Rachel Dedman, est à découvrir à partir du 25 mai jusqu’au 30 juillet 2016 à la Fondation Dar el Nimer pour l’art et la culture de la ville de Beyrouth.
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[1] La Welfare Association est une organisation internationale non-gouvernementale chargée du développement et de la conservation de la culture et du patrimoine palestinien depuis 1983.
http://www.welfareassociation.org/
[2] Maximilien Renard, « Mahmoud Hawari prendra la tête du futur Palestinian Museum » in Connaissance des Arts [en ligne] https://www.connaissancedesarts.com/art-contemporain/mahmoud-hawari-prendra-la-tete-du-futur-palestinian-museum-1143191/, consulté et mis à jour le 10 mai 2016.
[3] Dossier de presse consultable sur le site internet de Qalandiya International : http://www.qalandiyainternational.org/press/press-releases, consulté et mis à jour le 10 mai 2016.
[4] Colette Khalaf, « Dar el-Nimer, pour se reconnecter avec ses racines » in L’Orient le Jour,
[5] Site internet personnel de Rachel Dedman : http://www.racheldedman.com/, consulté et mis à jour le 10 mai 2016.
[6] Organisation de Libération de la Palestine
[7] Dossier de presse de l’exposition : “At the Seams: a Political History of Palestinian Embroidery 25th May – 30th July 2016” disponible sur le site internet de la commissaire d’exposition Rachel Dedman : http://www.racheldedman.com/At-the-Seams-Palestinian-Museum, consulté et mis à jour le 10 mai 2016.