3 coups de coeur d’ONORIENT au festival Gnaoua : Hoba Hoba, Imarhan et Djmawi Africa

Le Festival d’Essaouira Gnaoua et Musiques du monde s’est tenu cette année du 21 au 23 juin. Comme chaque année depuis 21 ans, il a réalisé un triple défi : transporter des milliers de spectateurs du Maroc et de l’extérieur à travers une multitude de musiques du monde, valoriser la ville portuaire d’Essaouira et surtout offrir une visibilité exceptionnelle à la musique Gnaoua. Les maâlimin, les maîtres musiciens de ces confréries aux traditions en partie originaires d’Afrique subsaharienne, sont à l’honneur.

Entre l’Océan, le vieux port et la muraille fortifiée, ou directement en bordure de plage, des milliers de spectateurs ont, trois nuits durant, écouté les voix des plus grands maâlimin, accompagnés de leurs gembris* et des qraqebs**. Le festival a le mérite de mettre en valeur ces musiques à travers de nombreux concerts exclusivement gnaouas, mais les rend aussi accessibles à travers les concerts “fusion”, que ce soit vers la musique occidentale avec la fusion Maâlem Hamid El Kasri et le groupe de jazz virtuose Snarky Puppy, vers la musique subsaharienne avec le Maalem Hassan Boussou et le Benin International Musical, ou vers des musiques déjà métissées avec la fusion du Maalem Said Oughessal et du Holland/Hussein/Potter Trio. Ces concerts ont montré comme les rythmes et mélodies gnaouas peuvent facilement se mêler à des musiques en apparence lointaines. Les danses conquises des spectateurs témoignent de manière évidente du succès de ces fusions.

L’édition 2018 du festival a fait une place toute particulière à Asma Hamzaoui, l’une des rares femmes joueuses de gembri. Avec Fatoumata Diawara, elles s’affirment ensemble comme deux femmes jouant des instruments à cordes, habituellement réservés aux hommes, que ce soit au Maroc ou au Mali, le guembri pour l’une et la guitare électrique pour l’autre. Le guembri est un instrument retrouvé dans ces deux pays et témoigne du lien culturel entre ces régions.

Enfin, à contre courant des marées humaines des grandes scènes du bord de mer, des concerts étaient proposés dans des scènes intimistes, sans doute plus semblables à la proximité et à l’atmosphère mystique caractérisant la musique gnaoua. Au clair de lune, dans un amphithéâtre bordé des murs de la Zaouia Issaoua et recouvert d’une coupole céleste, l’enchantement gnaoua opère encore un peu plus.

Quelles critiques faire à ce festival ? Quelques difficultés techniques et certains locaux expliquant parfois de ne pas profiter des retombées du festival. Dans tous les cas, le Festival Gnaoua participe largement à rendre cette petite ville balnéaire célèbre à travers le monde, puisque certains festivaliers sont venus d’outre atlantique pour découvrir cet événement unique.

Le festival rassemble des dizaines de musiciens, nous avons choisi de partager tout particulièrement autour de trois d’entre eux :

Hoba hoba, la flamme inextinguible

Premier jour du festival, dans une ambiance électrique, des « Hobaaaa ! Hobaaaa! Hobaaa !  » envahissent la foule avant même que Reda Allali, Saad Bouidi, Abdessamad Bourhim, Philippe Laffont, Othman Hmimar et Adil Hanine ne soient encore sur scène.

Après 8 albums et des concerts dans plus de 15 pays, c’est la deuxième fois que le groupe emblématique du rock fusion marocain se produit à Essaouira. Mettant à l’honneur les titres de leur dernier album Kamanyabaghi mais également des chansons qui ont fait le succès du groupe depuis 20 ans, Hoba Hoba se sont sereinement installés sur la grande scène de Moulay el Hassan avant de faire vibrer puis trembler un public en nage. Attendus et salués, les membres du groupe ont fait danser tous les âges sur des titres mythiques comme Fhamator, Sawt Che3b, Bienvenue à casa mais aussi Fitna,Triqi ou Lbhar ou Moulay Tahar, issus de leur tout dernier album, sorti en janvier 2018.

Sur la scène du festival, l’apport des sonorités Gnaoui à l’univers de Hoba Hoba Spirit est palpable. En marge du festival, dans le cadre de l’arbre à palabres organisé par l’Institut français, Reda se confie.

 Dans notre musique, les sonorités Gnaoua ne se retrouvent pas toujours là où on les attend, dans les gnaoua il y a les instruments mais aussi la force des cœurs.

Et Adil Hanine de renchérir

Quand je joue de la batterie, je m’inspire souvent des sonorités des qraqeb.

Interrogé sur l’histoire du groupe, Reda Allali est émotionnel. La flamme inextinguible qui anime le groupe est régulièrement entretenue par des albums et des « sans pour autant que la moindre vidéo d’enregistrement ne soit déversée sur les réseaux sociaux ».

« A chaque fois qu’on joue, on se dit que c’est la dernière fois, c’est pour ça que ça a duré 20 ans ». Porté par la magie de la scène et par la passion du message, le groupe a su durer dans le temps tout en se renouvelant.

Reda raconte le parcours de son groupe à travers les générations, au gré des recompositions des musiciens et des couches successives que chaque instrument et chaque univers ont apporté au groupe. Sur Kamayanbaghi, Reda a collaboré avec la nouvelle génération d’artistes en confiant sa direction artistique de son album à Rebel Spirit (Mohamed Bellaoui) et la réalisation de certains de ses titres à Hicham Lasri.

Pour Reda, c’était une démarche naturelle. « Il faut savoir laisser les œuvres évoluer par les interprétations des uns et des autres ». Interrogé par Onorient, il explique qu’il n’avait pas de directives pour les artistes avec lesquels il a collaboré.

Mohamed (Rebel Spirit)  vient à nos concerts depuis qu’il est gamin.

Ce qui l’intéressait c’était de confier aux jeunes générations d’artistes marocains le soin d’apporter leur pierre à l’édifice. Dans l’air du temps et plus passionnés que jamais, les membres de Hoba Hoba Spirit ont offert au public une expérience musicale inoubliable qui a totalement conquis notre rédaction.

Imarhan, des voix du désert

ONORIENTOUR vous avait déjà fait découvrir Imarhan, un groupe touareg qui a débarqué cette année a Essaouira, un album et une tournée américaine plus tard. Imarhan, qui signifie “les amis, les personnes bien aimées”, est un groupe de Tamanrasset, ville tamasheq (touareg) du grand sud Algérien.

Sur la scène du festival face à la plage, Imarhan dévoile une atmosphère contemplative. La présence des musiciens semble toute concentrée sur leurs instruments et leur musique. Une sorte de nostalgie. Des métaphores des sons du désert. Un rythme entre calebasse et batterie. Des mélodies aux guitares électriques. Et puis, un groove hypnotisant.

Nous essayons de faire de la fusion, nous nous inspirons d’autres musiques comme le jazz, le blues, le rock, mais nous tenons à préserver la touche de notre musique tamasheq, confient Sadam et Hicham, deux des cinq membres du groupe.

Sous l’Arbre à Palabres du festival, ils expliquent qu’autrefois, la musique était le seul moyen pour les tamasheq de conserver et transmettre leur culture, leurs musiques, leurs poèmes. Les gens voyageaient parfois de loin pour entendre cela et Imarhan tient a conserver cette tradition, tout en donnant une dimension mondiale à la culture tamasheq et à s’ouvrir sur l’extérieur.

Cette année, ils signent leur second album, Temet, en tamasheq les “liens”, car ils chantent à propos des connections entre les membres de la famille, avec les amis ou à la terre mère.

Renouvelé avec l’album Temet, Imarhan partagera ses créations en Europe au cours des prochains mois. En diffusant sa musique à travers le monde, Imarhan parvient ainsi à créer des “liens” poétiques entre les spectateurs et la culture tamasheq.

Djmawi Africa, l’Afrique au delà des frontières

Tout commence en 2004 sur les bancs de l’école de commerce d’Alger, un groupe d’étudiants organise des concerts ici et là, le public est réceptif, le groupe est lancé.

La formation enchaine ensuite les albums : Mama puis Echfaa un album de duo et enfin Avancez l’arrière. Composés de 8 personnes, les Djmawi compte à présent un nouveau chanteur : Issam Bosli remplaçant Djamil Ghouli ex-chanteur ayant quitté la bande pour se consacrer à une carrière solo.

Quelques années suivant leur formation, les Djmawi Africa s’imposent vite comme une des références musicales de la scène algérienne alternative et sont aujourd’hui considérés comme des pionniers du renouveau musical algérien.

Onorient a rencontré le groupe dans le cadre du festival Gnaoua & Musique du Monde d’Essaouira 2018, et à la question quel est votre lien à la musique Gnaoua, le groupe clarifie : « La musique Gnawa est une source d’inspiration parmi d’autres ». Ils ne sont pas issus de Ahl Diwan (musiciens gnaoua traditionels). Leur musique est conjuguée avec beaucoup d’autres genres. Leur marque de fabrique ? La fusion de différentes influences musicales : rock, chaabi, reggae, kabyles, celtes, et Gnaoui.

Mais ce qui anime Djmawi Africa comme leur nom l’indique c’est l’Afrique. Abdou El Ksouri, un des fondateurs et guitariste du groupe, explique l’envie et le besoin d’explorer les racines africaines de l’Algérie puis de l’exprimer artistiquement à travers leurs créations musicales. Une africanité souvent ignorée, oubliée et parfois même reniée.

Le groupe s’inscrit donc à travers sa musique dans la lignée des défenseurs de cette composante culturelle trop peu valorisée, pas assez mise en avant à l’instar de feu l’écrivain et intellectuel Algérien Kateb Yacine par la voie de la littérature ou encore plus récemment son fils, Amazigh Kateb leader du groupe Gnawa Diffusion.

Par ailleurs pour Abdou El Ksouri, il est indéniable qu’un problème identitaire latent existe au Maghreb; revendiquer l’africanité des pays le constituant et renouer le fil avec l’Afrique contribuerait à apporter des éléments de réponses à beaucoup de questionnements.

Après l’échange, place au concert sur la scène de la plage d’Essaouira !

Le groupe arrive et enchaine ses tubes : Hchich et Pois Chiche chanson évoquant les vicissitudes du quotidien d’un jeune algérien désœuvré, entre chômage, désillusion, et rêve d’un ailleurs meilleur. Celle d’un jeune sans le sou qui vit dans un quartier populaire et qui évoque l’amour impossible avec une fille d’un milieu aisé et soyeux : Hiya aicha fi rich oua naya achaya hchich ou pois chiche (Elle vit dans le coton et moi je dîne avec des fines herbes et des pois chiches). Un morceau très parlant pour la jeunesse maghrébine et particulièrement pour celle présente ce soir-là au point d’être entonné a capella et par cœur par le public.

Au tour ensuite de Avancez l’arrière oxymore comme seuls les algériens savent en inventer. Souvent entendu dans la bouche des receveurs de bus en Algérie, comprendre avancer vers le fond pour faire de la place.

Avancez l’arrière c’est l’histoire d’un bus, un bus plein à craquer où les gens sont obligés de s’entasser. Un bus qui fonce à vive allure, un bus dans lequel les voyageurs sont à la merci d’un chauffeur ignorant ses voyageurs et semblant vouloir mener le bus tout droit vers le précipice. On peut imaginer que le bus représente le pays.

Enfin au moment de clôturer le show, le groupe parle de son souhait de voir un jour enfin les frontières s’ouvrir entre le Maroc et l’Algérie, paroles remportant une large adhésion de la foule présente. C’est donc un groupe engagé qui s’est produit sur la scène du festival d’Essaouira et leur engagement se poursuit puisque le groupe travaille actuellement sur son nouvel album qui abordera un thème majeur : celui des migrants. Sortie prévue et grandement attendue pour 2019. A suivre !

Article co-écrit par Hajar Chokairi, Nada Dob et Sélim Guessoum 

*Guembri :  instrument de musique à cordes pincées des Gnaouas (« Guinéens » en français). On le trouve principalement en Afrique du Nord au Maroc, en Algérie, en Tunisie (utilisé dans le stambali) et au Mali où il a été apporté par les Gnaouas, esclaves venant de Guinée[réf. souhaitée]. Il est aussi joué par les Touaregs et les Berbères[Lesquels ?]. C’est un dérivé du n’goni africain.

** Qraqeb : instruments de percussions idiophones maghrébins. C’est un genre de castagnettes utilisé par les Gnaouas, assez similaires aux anciens crotales.

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