Two: A Bilingual Anthology. Ecrire ensemble pour ne plus se tourner le dos

Les éditeurs de Two: A Bilingual Anthology : Tamer Massalha, Tamar Weiss et Almog Behar. Crédit : TVL1

Dans un contexte d’augmentation constant des violences entre la Palestine et Israël, Two: A Bilingual Anthology est un projet qui vient nous rappeler la réalité duale de cette région.

שתיים_אנתולוגיה(2)L’aventure démarre en 2008, réunissant de jeunes auteurs de la scène littéraire de la région. Marwan Makhoul et Iyad Barghouti du côté palestinien et Einat Yakir, Dror Burstein et Anat Einhar du côté israélien sont invités à écrire pour inviter au dialogue entre les deux sphères. De ce projet naît le livre Two: A Bilingual Anthology, un recueil de poèmes et d’histoires venant d’auteurs palestiniens et israéliens. Un livre intéressant par l’approche qu’il adopte. Il ne s’agit pas ici de trouver des textes consensuels entre Palestiniens et Israéliens, ce projet coordonné par trois éditeurs, Tamar Weiss-Gabbay, Almog Behar et Tamer Massalha se veut être un pont entre deux mondes qui s’ignorent. Quitte à froisser les lecteurs des deux bords.

Ainsi, le lecteur israélien pourra lire les histoires d’une jeune femme palestinienne qui ressent l’absence de son compagnon mort dans un attentat suicide. Ou l’histoire d’une âme dans les rues de Haifa qui enrage sur les tueries et les massacres de 1948 et qui égrène les anciens noms des rues de la ville en arabe, moyen d’aborder la question de la guerre arabo-israélienne. Et d’évoquer en filigrane l’idée du retour des réfugiés, anciens habitants et descendants de ce passé de plus en plus lointain. Parier sur le fait qu’un lecteur israélien juif va lire les regrets d’une jeune femme pleurant son mari considéré par une majorité d’Israéliens comme un terroriste, ou de parler du passé arabe d’une des plus grandes villes d’Israël, et entre les lignes, d’une partie de leurs anciens habitants, c’est un pari osé introduisant un véritable choc culturel.

Le livre introduit donc une démarche nouvelle. Apprendre à renouer avec l’autre, essayer de le comprendre et de le voir dans sa totalité. L’idée n’est pas de trouver un chemin entre les deux narratifs, mais d’essayer de connaitre l’autre, sa culture, sa vision. L’Israélien n’est plus juste un soldat, ou un policier, il a aussi une culture, des poètes, des auteurs et on peut même les trouver bons sans forcément changer de vue politique sur le conflit. Le lecteur israélien peut voir une autre facette de la culture arabe, sa beauté et réaliser qu’elle ne se résume pas au djihadisme et aux attaques suicides.

Si les initiateurs du projet ont eu du mal à trouver des auteurs capables d’assumer leur participation à cette démarche, certains n’ont eu aucun mal à y consacrer leur plume. La Palestinienne Rajaa Natour en fait partie, elle a écrit deux poèmes figurant dans ce recueil. « Pour moi, l’hébreu est la langue de l’ennemi, j’ai été obligée à l’apprendre. J’ai mis beaucoup de temps, mais j’ai fini par trouver une esthétique à cette langue. Je la vois comme un outil, pas comme une identité. Je sais exactement qui je suis, mon identité est évidente pour moi », raconte-t-elle à Al-Monitor. Dans ce contexte, ses poèmes ne sont pas réellement politiques, le but étant plus d’attaquer les normes, qu’elles soient israéliennes ou internes à la société palestinienne, que ce soit la religion ou la place des femmes.

Briser un silence sourd

Cette initiative répond aussi à un besoin régional croissant de renouer des liens entre Israël et les pays arabes environnants. Ces liens qui existent de moins en moins depuis la seconde intifada. Durant les années 2000, Israël s’est refermée sur elle-même, se barricadant derrière des murs la séparant de ses voisins et des territoires palestiniens. Plus aucun Israélien n’habite Gaza depuis 2005. De plus, le Hamas en interdit l’accès même aux journalistes israéliens. Le terminal Erez, point de passage principal entre Israël et Gaza, est devenu un long couloir où les soldats israéliens n’ont aucune idée de ce qu’ils gardent, de ce qu’il y a derrière.

Avant ces événements meurtriers, des dizaines de milliers de Gazaouis venaient travailler, légalement et illégalement, en Israël. Et même si la situation était inégalitaire, il existait au moins des communications entre les deux rives. Depuis cette époque, la nouvelle génération gazaouie n’a aucune idée d’à quoi ressemble un Israélien, les autorisations de passages sont très rares.

A ce constat terrible, la réponse de l’une des éditrices, Tamar Weiss-Gabbay peut surprendre, surtout au vu de son parcours. Elle, qui est passée par le mouvement de jeunesse du Bnei Akiva (mouvement sioniste religieux), explique que le projet a été à de nombreuses fois en difficulté du fait des opérations militaires à Gaza (en 2008, 2012 et 2014) et des tensions  que cela induisait entre auteurs. Le but de l’ouvrage n’est pas, selon elle, « de conforter les gens dans leurs idées, mais d’écouter toutes les voies« , explique-t-elle à Al-Monitor. Même si le livre n’a pas vocation à être le livre de chevet de chaque Israélien et Palestinien, il est là pour enclencher un processus et faire date pour relancer un débat désormais atone.

    Laisser un commentaire