Tanya Habjouqa, photographe de paix en temps de guerre

Tanya Habjouqa, Occupied Pleasures ;http://www.artribune.com/wp-content/uploads/2014/04/Occupied-Pleasures-by-Tanya-Habjouqa-9.jpg

La première fois que j’ai été confrontée aux photos de la Jordanienne Tanya Habjouqa, elle était exposée à l’Institut des Cultures d’Islam lors de l’exposition Cherchez l’erreur qui s’est tenue l’année dernière de janvier à juillet 2015. D’une élégance désarmante, sa photo de deux jeunes femmes presque prisonnières des eaux de Gaza avait retenu mon attention. Visitant l’exposition avec une amie, nos deux regards portés sur ces deux protagonistes, nous avaient soudain rappelé la brutalité des frontières que l’on ne connaît pas.

Tanya Habjouqa, moteur d’une nouvelle génération engagée de photographes

Là réside la puissance du travail de Tanya Habjouqa; elle nous communique avec délicatesse la mélancolie d’un quotidien tourmenté dans ses brefs instants de répit. Il y a dans les modèles de ses photos, tout un panel de sentiments qui vient jusqu’à nous transcender. D’une empathie évidente, elle parvient à transmettre l’indicible d’une âme en saisissant la minute, la seconde, qui change tout, et qui fait la beauté du quotidien et la profondeur d’un regard.

Issue d’une nouvelle génération de femmes photographes moyen-orientales, elle défend une photographie « anthropologique » se rapprochant des sujets de ses photos afin d’appréhender leur quotidien dans la plus grande sincérité. D’une formation en médias qui l’a mené à photographier les conflits les plus marquants de notre siècle, elle met en avant un quotidien qu’on ne montre pas aux informations. Elle propose ainsi un contre-pied au photojournalisme auquel nous sommes tous habitués, plus adepte des images sanglantes qu’à la tendresse du quotidien qu’elle photographie sans concession et sans drame.

Elle étend sa démarche dans sa participation au premier collectif de femmes photographes du Moyen-Orient Rawiya dont elle est cofondatrice avec Myriam Abdelaziz, Tamara Abdul Hadi et Laura Boushnak. De fait, Tanya Habjouqa affirme sa photographie comme un médium de communication politique et culturel, afin de soulever des problématiques qui lui tiennent à coeur.

Parmi elles, Tanya Habjouqa se concentre sur la place des femmes au Moyen-Orient dans sa série Women of Gaza qui soutient une féminité à toute épreuve dans le regard capté à travers l’ouverture d’un niqab, le glamour d’une session de lèche-vitrine ou bien le rôle de mère, le tout toujours sur fond de ville en ruines ou de plages qu’on pourrait presque trouver paradisiaques.

Tanya Habjouqa à mi-chemin entre photo journalisme et photo souvenir.

Chaque série comprend son lot de contradictions que Tanya Habjouqa cultive afin de renoncer aux idées souvent manichéennes d’une vie en noir et blanc émanant d’une vision occidentale de l’orient. Elle montre la complexité des enjeux, la tradition et la modernité, la vie et la mort, le rire et la tristesse, l’absurde et le banal dans ce quotidien exalté, presque parfois magnifié.

Dans un autre registre, elle était également exposée à Paris lors de la première biennale des photographes du monde arabe à l’Institut du Monde arabe avec quatre photos issues de sa série Tomorrow there will be apricots (demain il y aura des abricots), traduction d’un proverbe levantin qui signifie « demain n’arrivera jamais » ou encore « dans tes rêves ». Dans cette série, la photographe nous invite dans l’intimité de veuves de guerre syriennes dans les camps de réfugiés de Jordanie.

Entre recueillements, devoir de mémoire, féminité et rage de vivre, ces quatre photographies accompagnées de quelques lignes d’explication suffisent à soulever en nous un flot d’émotions diverses. Il y a la pudeur d’Ashya qui nous dévoile, en écartant un foulard imprimé de noeuds, un bout d’épaule tatouée de cette phrase « Pourquoi m’as-tu quittée lorsque j’avais besoin de toi ? » avant le décès de son mari au front. Cette phrase, les deux amoureux se l’étaient tatouée après une violente dispute pour se rappeler la  douleur de la séparation. Ce tatouage aujourd’hui en dit bien plus qu’elle n’aurait pu l’imaginer.

Il y a cette photo de son mari brandissant une kalachnikov, sur un vieux portable, dernier souvenir qu’elle a de lui. Il y a aussi la lumière dorée du soleil qui pénètre un intérieur où notre regard se pose sur un petit plateau en bois, souvenir du voyage à Beyrouth du défunt mari d’Una. La douceur de ces photos, dont les sujets sont caressés par les rayons du soleil contraste avec l’horreur du chemin qu’ont parcouru ces femmes.

Tanya Habjouqa nous offre donc une photographie du réel qui saisit toute la poésie de la vie et l’humanité de ses modèles afin de nous offrir des instants de grâce qui reflètent une fureur de vivre universelle.

En attendant, une nouvelle exposition à Paris, nous pouvons découvrir ou redécouvrir ses photos de Gaza dans son livre Occupied Pleasures, qui relate les tentatives des Palestiniens d’échapper par l’esprit à leur confinement territorial. Autrement, son site internet propose quelques séries de photos allant des sulfureuses Drag Queens of the Holy Land jusqu’à la résistance des Bédouins contre les plans de relogement à Jérusalem dans Bedouin Resolution.

HABJOUQA Tanya, Occupied Pleasures, FotoEvidence, 2015