Le design est à l’honneur, cet automne, dans la région MENA. Les manifestations autour de cette discipline repensée sans relâche se multiplient et mettent en lumière le bourgeonnement d’une génération d’artistes innovants. Ils dépoussièrent une industrie créative que l’on pensait figée dans une époque révolue.
Focus sur trois évènements phares de cette rentrée : Beirut Design Fair, Amman Design Week et Casablanca Design Week.
A l’heure où a été annoncé le report sine die de la Biennale de Marrakech, la multiplication d’actions en faveur de la création semble nécessaire et indispensable pour préserver l’élan créatif qui secoue la région MENA depuis plusieurs années. Plusieurs constats peuvent être dressés.
D’une part, il s’agit peut être de souligner l’essoufflement des évènements artistiques, qui ont connu une croissance fulgurante, ces dix dernières années et, aujourd’hui, dévoilent leurs limites. N’est-il pas nécessaire de repenser notre accès à la création ? Y aurait-il, alors, dans le design une dimension plus inclusive, accessible et pérenne que l’art ?
Dans une époque où nombre de nations se voient délaissées par les pouvoirs publics pour soutenir la culture, l’organisation d’évènements mobilisant à la fois créateurs et publics est nécessaire pour contrer ce manque dangereux. Or, force est de constater que si les rendez-vous artistiques peinent à se renouveler, les évènements liés au design se généralisent. Le design est-il un atout pour proposer un regard neuf plus intelligible et plus séduisant aussi bien pour de potentiels soutiens philanthropiques ou publics mais également pour attirer la mobilisation d’un public plus large ?
Nouveaux rendez-vous et nouveaux formats
Vent de nouveauté, donc, sur la région, avec la création de deux nouveaux rendez-vous célébrant le design lors de cette rentrée. Dans un premier temps, Beirut a accueilli sa première Beirut Design Fair du 20 au 24 Septembre dernier, coïncidant avec la désormais incontournable Beirut Art Fair qui auparavant accueillait un pavillon dédié au design. Celui-ci a fait sécession pour devenir un évènement autonome afin de se positionner de manière plus visible auprès des collectionneurs et galeries internationales. Deux semaines plus tard, du 6 au 14 Octobre, avait lieu l’ouverture de la seconde et ambitieuse édition de la Amman Design Week encouragée par l’impact positif ressenti dans tout le royaume de Jordanie, l’année précédente. Enfin c’est également une première pour la Casablanca Design Week qui du 24 au 30 Octobre donnait le coup d’envoi d’un intense programme mobilisant toute la ville.
Conscients des enjeux éminents de ce type d’évènements, alors que la protection de la création n’a jamais été aussi urgente que cruciale, les organisateurs doivent repenser les structures économiques inhérentes à ces manifestations. A Amman, la qualité de la première édition en 2016 a encouragé de nombreux partenaires à s’investir, anticipant l’onde positive que génère ce type d’évènements. Pour la Casablanca Design Week, l’organisation a été possible grâce à un engagement participatif et associatif, sans financements extérieurs. Quiconque souhaite s’investir et produire un évènement dans le cadre de la Design Week a la liberté de le créer. Le but est de laisser émerger une forme d’écosystème qui pourrait se perpétuer après l’évènement au delà de celui-ci.
Une réflexion s’engage alors sur le soutien économique de ce type de manifestations qui connaissent également des mutations substantielles, pour pouvoir assurer leur pérennité de la manière la plus indépendante possible, en comptant sur des sponsors privés ou un engagement collaboratif.
Malgré la nouveauté de ces programmes, ils trouvent très rapidement leur place dans l’activité culturelle et économique des villes qui les accueillent. Repères essentiels pour rassembler les acteurs artistiques des capitales créatives, ces rendez-vous sont attendus pour faire sortir de l’ombre des créateurs qui s’engagent individuellement dans l’entrepreneuriat. Ils œuvrent bien souvent avec une visibilité limitée compliquant la cohésion de l’activité culturelle à l’échelle locale voire régionale malgré la croissance des initiatives créatives.
Une guerre des modèles, source de mutation
Ces dernières années, le modèle de la « Design Week » proposant des programmes événementiels et éducatifs disséminés dans les capitales culturelles mondiales a connu un succès formidable. Il permet de dresser un état des lieux et parvenir à la formulation d’une définition régionale du design. Ce format s’est affirmé au niveau international mais a fortiori au Moyen-Orient où chaque pays (ou presque) peut désormais compter sur l’organisation de ce type d’évènements. Rana Beiruti organisatrice de Amman Design Week nous a confié :
« Nous nous sommes décidés à organiser une Design Week car c’est un modèle reconnu autour du monde, donc le public comprend qu’il s’agit du même modèle expérimenté dans le monde« .
Le modèle de la « Design Week » accompagne une transition vers un design raisonné, responsable et durable, qui se recentre sur une production limitée. Ces manifestations ont prouvé leur impact considérable attirant média, professionnels et touristes. Egalement, comme le souligne Ilias Zkara, membre du collectif Houna à l’origine de la première Casablanca Design Week, les « Design Week » permettent la rencontre des acteurs régionaux engendrant inspiration et collaboration entre différents designers et collectifs. C’est en rencontrant les organisateurs d’autres « Design Week » et en se rendant à ces évènements que l’idée de la Casablanca Design Week a peu à peu émergé.
Les « Design Week » proposent de compléter et renouveler le modèle des « Art Fair » (foires d’art) qui ont introduit cette nouvelle forme de communications, d’échanges et de démonstrations du savoir-faire et de l’innovation régionale. Toutefois, les Fairs, conservent un rôle privilégié à l’image de la nouvelle Beirut Design Fair qui fait son entrée dans l’agenda culturel du Moyen-Orient.
A Beyrouth, le design fait l’objet de nombreuses interrogations et expérimentations. Après des pavillons test dédiés lors des précédentes éditions de la Beirut Art Fair, aussi, l’année dernière était organisée la sixième Beirut Design Week en Mai 2017. Enfin, la Beirut Design Fair vient parachever ces recherches et prouve la complémentarité des Fairs et Design Week pour atteindre un même objectif de visibilité et reconnaissance nationale, régionale et internationale du design local. Les foires conservent néanmoins une visée plus commerciale, car avant tout destinées à un public professionnel d’acheteurs ou de galeristes, quand les Design Week sont adressées à un public beaucoup plus large voire touristique et justifient de financements et de positions curatoriales différentes.
Unanimement, l’un des objectifs de ces nouvelles manifestations est de proposer un contre-poids à Dubai Design Days qui s’est affirmé comme une vitrine de choix, notamment pour l’Europe. Cette foire, qui pour sa prochaine édition en 2018 doit fusionner avec la Dubai Design Week, est devenue un objectif pour la plupart des créateurs de la région car générant une visibilité plus forte. Cependant, dans les autres pays de la région, on souhaite montrer une autre facette, plus approfondie, que les échantillons présentés à Dubai n’exposant qu’un aperçu standardisé et superficiel, bien que de qualité, de la production de la région.
Cohésion d’une école de design régionale en faveur de la transmission de l’héritage
Malgré des différences évidentes dans les formats et les objectifs de ces nombreuses manifestations, ce qui unie indéniablement ces évènements est d’abord la tentative d’un rassemblement en vue de la cohésion d’une scène artistique locale avec des objectifs, une identité et un esthétisme pensés pour pouvoir être défendus, visibles et reconnus sur la scène internationale. Il s’agit également de pouvoir s’associer au niveau régional et favoriser les échanges ainsi que la circulation des acteurs et artistes locaux. Ce qui marque enfin, c’est le désir de défendre un héritage et d’assurer sa transmission vers les plus jeunes générations. Dans cette perspective, la Beirut Design Fair n’exposait que des designers libanais, à l’exception de 2 exposants étrangers. L’objectif est donc clair et contrevient directement à toute possibilité de concurrence.
Idem pour la Casablanca Design Week qui revendique une première édition « nationale » avec des créateurs marocains ou issus de la diaspora. Le slogan de cette première édition questionne, « Qu’est ce que l’on conçoit ?« . Forme d’états généraux du design marocain, c’est le moment privilégié pour réaliser un état des lieux afin de fonder solidement une communauté pour ensuite l’exporter. En allant plus loin dans cette logique, la Casablanca Design Week a mis en place un vaste programme au centre duquel a été organisée une exposition curatée par Kenza Amrouk, à laquelle s’associent des manifestations inclusives pour tous les participants volontaires de la ville dans le but d’assurer un pont entre la création d’une « école » de design nationale exigeante et l’héritage de la ville et de ses habitants.
Même projet pour la Design Week d’Amman qui pour sa seconde édition proposait un programme autour de six différents espaces articulés autour du pavillon principal curaté par Ahmad Humeid avec une sélection des meilleurs designers locaux et internationaux qui ont proposé une contribution autour du thème du mouvement.
L’artisanat local et l’innovation sont mis en avant. Cependant la particularité de l’engagement de la Amman Design Week est frappante dans l’espace dédié à l’exposition d’étudiants. Vingt et un jeunes lycéens ou en études supérieures, ont été accompagnés par 6 professionnels établis pour aboutir à la production d’une pièce exposée dans la cadre de la manifestation. Chaque étudiant s’est vu alloué une somme qu’il pouvait utiliser comme il le souhaitait pour développer son projet. Matériaux, recherches, communication rien n’a été laissé au hasard et on est fascinés de l’assurance et du talent de ces jeunes qui annoncent une relève assurée pour le design. Avec un programme s’étendant sur une année entière, la Amman Design Week n’est que la partie émergée de l’engagement pour le design en Jordanie.
Coups de coeur
Coups de coeur
Nombreux sont les artistes qui nous ont étonnés, enthousiasmés et avec leurs designs nous ont amenés à réinterroger notre définition du design. Nous avons choisi un designer présenté dans chacune des manifestations et présentant une œuvre originale.
ARCHITECTURE ET MECANISMES – Céline & Tatiana STEPHAN (Beirut Design Fair)
Les deux sœurs, l’une diplômée en architecture, l’autre en beaux-arts, sont parvenues à fusionner leurs talents pour se façonner une identité unique mêlant architecture et précision. Dans une ville où l’électricité est un sujet épineux, il fallait avoir l’audace de présenter un stand dédié à une série travail d’orfèvre d’interrupteurs et de luminaires façonnés avec finesse et pragmatisme. Une manière de sublimer un élément crucial du quotidien libanais.
Fahres Al-Khattat by eyen Design – Omar Al-Zo’bi & Yousef Abedrabbo (Amman Design Week)
A l’entrée du Hangar exposant les designers les plus talentueux de la région trône le distributeur de calligraphie du studio de design eyen. En échange d’un billet de 5 dinars jordaniens, dégringole un recueil recensant les calligraphes jordaniens avec un exemple de leur écriture et leur contact. Un moyen d’attirer l’attention sur une tradition en voie d’extinction.
Soukaina Aziz El Idrissi (Casablanca Design Week)
Sa pratique est dédiée à des expérimentations qui allient le recyclage à l’art. Avec un design raisonné, elle tente de propulser ses spectateurs vers des cheminements plus responsables. Dans le cadre de cette première Casablanca Design Week elle présentait des étoffes exclusivement réalisées avec des matériaux recyclés.