Je vous invite à vous imaginer dans une salle de cours ordinaire, dans un lycée très ordinaire. Un professeur qui débite machinalement son cours et des élèves très adolescents sont au bord de l’ennui. Un élève de nature plutôt discrète, assis à peu près au milieu de la salle, lève sa main et interrompt le monologue de ce professeur proche de la cinquantaine. « Je ne suis pas d’accord avec ce point, monsieur, je pense qu’il s’agit plutôt de… » affirma cet élève en étayant son raisonnement. La réplique du professeur ne s’est pas faite attendre et n’a pas manqué de sécheresse : « Si je l’ai dit, c’est que c’est vérifié. Tu ne vas pas m’apprendre mon métier quand même. » L’élève esquissa un léger sourire sur son visage et rétorqua « Oui, mais je suis quasi-certain que… ». Il n’a pas eu le temps de terminer sa phrase. Le professeur traversa la distance qui les séparait d’un pas très vif et lui adressa une claque retentissante qui réveilla les plus somnolents d’entre nous. L’humiliation suprême ! Il lui demanda aussitôt de quitter la salle en lui signifiant qu’il ne souhaitait plus le voir assister à son cours. Les choses auraient pu s’arrêter là mais l’infinie bonté de ce professeur l’obligea à accepter la présence de cet élève à son cours, après que ce dernier ait présenté des excuses quelques jours plus tard, comme si la première humiliation ne suffisait pas. Ce jour là, Il avait compris qu’un élève dans son genre n’avait guère le droit de penser et qu’il ne devait ouvrir sa gueule que pour acquiescer les paroles de son maître.
Si cette anecdote peut paraître comme un cas isolé et intimement liée à la personnalité de ce professeur au penchant tyrannique, elle le devient beaucoup moins quand on sait que ce professeur n’a pas été inquiété une seule seconde suite à cet incident. Ni l’administration de l’école, ni les associations des parents d’élèves ni les élèves eux même n’ont jugé cette altercation comme une source d’indignation valable. En d’autres termes, cela ne choque pas, c’est normal et tout va bien. Pourquoi donc ? Pourquoi un professeur aurait le droit de faire taire un élève d’une telle manière ? D’autant plus que cet élève n’avait pas totalement tort dans son raisonnement. Tout simplement parce que notre école repose sur un modèle très hiérarchique : le professeur détient le savoir et le rôle de l’élève est de s’imprégner de ce savoir en évitant au possible les questions et les remarques qui fâchent. L’élève ne sait rien et n’est pas apte à construire un raisonnement capable de remettre en cause l’enseignement qu’on lui procure, du moins c’est ce qu’on lui fait croire dès son plus jeûne âge. L’élève est donc là pour apprendre, pour assimiler et pour restituer. Ceux qui arriveront à restituer avec autant d’exactitudes que possible les enseignements qu’ils ont reçus se verront attribués une bonne note, de quoi réjouir les parents. L’élève est donc un être inférieur à celui qui faillit devenir prophète.
Les rares élèves qui refusent de baigner dans ce consensus moelleux, qui essayent se rebeller contre le dogmatisme ambiant, qui posent de questions, qui essayent d’aller au-delà de ce qu’on leur donne, se voient traités de tous les noms. Dans les classes primaires par exemple, des insultes comme « âne », « chien » et autres punitions très violentes sont une monnaie très courante. Ce recours systématique à l’intimidation et à l’insulte a pour objectif de faire taire et donc brider l’imagination débordante de l’enfant. Même le professeur de philosophie, celui qui fait l’éloge de la question et du scepticisme cartésien te demande de la fermer une fois qu’il sent que tu es en train de t’aventurer sur des terrains glissants.
Si l’enfant ne peut pas poser des questions, si l’enfant ne peut pas critiquer, si l’enfant ne peut pas imaginer, si l’enfant ne peut pas penser, comment voulez-vous qu’il crée ? Comment voulez-vous qu’il innove ? Comment voulez-vous qu’il révolutionne les idées ? Il ne sera qu’une personne de plus, prête à ingurgiter toutes les soupes propagandiste qu’on luit sert, prête à se jeter dans les bras de la première idéologie rencontrée, fût-elle extrémiste et violente. Est-ce vraiment ce genre de personnes que nous voulons ? Est-ce vraiment à cela qu’est destiné un système scolaire ? Je ne pense pas, non.
L’esprit critique, voilà ce qui nous manque cruellement aujourd’hui, voilà ce qui doit être l’objectif ultime de chaque enseignement. Mais notre chère école, au lieu d’encourager cet esprit là, de l’inciter à s’épanouir et à prendre des formes créatrices et artistiques, elle met tout en œuvre pour le piétiner et l’annihiler, comme s’il s’agissait d’un danger, d’un corps étranger. C’est pour ces raisons là et avant de se lancer dans des plans de sauvetage d’un système éducatif déjà au bord de la faillite, avant de dépenser des millions qui ne serviront à finalement pas à grande chose, avant de bâcler de nouveaux programmes scolaires avec des livres plus colorés et des contenus plus allégés, prenons le temps de repenser notre école, prenons le temps de revoir la philosophie fondatrice de notre système éducatif et que tout le monde participe à ce débat, que tout le monde soit impliqué. Passons de l’école de l’endoctrinement à celle de l’esprit critique, celle qui encourage le débat, la question, l’échange, la tolérance et le droit à la différence. Une école qui croit en ses élèves et qui leur donne les clés pour comprendre ce monde tout en leur laissant un espace largement suffisant pour s’exprimer et dévoiler leurs talents. Une école sans intimidations, sans humiliations.
L’état aime avoir affaire à des abrutis.
Quand un abrutis est mécontent, il casse et détruit. Ca l’état sait très bien gérer, il sort ses chiens de policiers, et si ça persiste, il nettoie au char et aux appaches.
Par contre, quand un intellectuel est mécontent, il écrit, publie, critique et mobilise la masse. Contre lui l’état est impuissant. Il ne peut pas le frapper ni le tuer car ça alternera son image devant le monde. Il ne peut pas débattre avec lui car l’état est con par construction (il est construit sur des propagandes et des chimères).
Notre cher état a compris ça, et a attaqué le problème de la souche : Pas d’éducation pour éradiquer les intellectuels.