PANAF d’Alger 1969 :  Quand l’Afrique exprime sa dignité

Affiche / WILLIAM KLEIN - Festival Panafricain d'Alger

Eté 1969. Imaginez la grande famille africaine conviée à Alger le temps d’une fête. L’Afrique de l’Apartheid, l’Afrique des fraîches indépendances, l’Afrique de la guerre et l’Afrique de l’exil, réunies pour un rendez-vous avec l’Histoire, leur Histoire.

Imaginez maintenant ces retrouvailles en pleine Guerre Froide, à travers les yeux d’un talent américain dont la nationalité n’a perverti ni l’éthique, ni l’esthétique. D’aucuns crieront à l’imposture. Pourtant, le documentaire est un chef d’œuvre : alors que le monde entier a les yeux rivés sur le premier homme à avoir marché sur la lune, l’Afrique célèbre ses étoiles.

Lancé trois ans après le Festival mondial des Arts nègres de Dakar, le PANAF est le premier festival culturel panafricain, organisé conjointement par l’Algérie et l’Organisation de l’Unité Africaine, du 21 au 27 juillet 1969 à Alger. Entré dans les annales depuis, sa charge symbolique reste entière. Le film que lui consacre le très iconoclaste William Klein, sur commande de l’ONCI algérien, fait figure de cas d’école. Il s’ouvre sur ces questionnements : « Qu’est-ce que l’Afrique ? » ; «Qu’est-ce que le Festival ? » ; « Qu’est-ce que la culture ? » Des images d’archives agrémentent la narration et apportent un puissant ancrage aux propos. Si les plans se suivent sans se ressembler, l’imbrication des formats ne nuit pas à la fluidité du montage.

Les séquences du début sont marquées par des chants appelant à en finir avec le colonialisme et l’exploitation, « we should fight until we win » scandent les voix ! Dès les premières minutes, les regards ethnographiques et assimilationnistes posés sur l’Afrique font l’objet d’un virulent procès. Les cordes vocales tordent allègrement le cou aux idéologies racistes et impérialistes. Les sons sont cathartiques, ils pansent les blessures et les mémoires encore vivaces. En exorcisant la longue nuit coloniale et en se réappropriant leurs cultures, les Africains reprennent les rênes de leur destin.

Alger, « Opéra du Tiers-Monde »

Le documentaire va ensuite retracer les principales manifestations qui ont rythmé l’évènement. Les témoignages se poursuivent dans la rue, dans les loges, et dans les salles de spectacles. Alternant entre scènes de liesse, prestations artistiques et entretiens , Klein va procéder par touches pour reconstituer une situation d’énonciation des plus fidèles. Patrimoine local du pays hôte, jazz, soul, musiques traditionnelles d’Afrique, de la Diaspora et des Caraïbes, le PANAF commémore un syncrétisme musical sans précédent. Mais il accueille surtout de grands noms :  Barry White, Manu Dibango, Archie Shepp, Amílcar Cabral et les autres étaient tous là. Nina Simone enflamme la scène algéroise en reprenant pour la première fois « Ne me quitte pas » de Jacques Brel. Miriam Makeba icône incontestée du Festival, sera naturalisée algérienne en 1972. En la suivant qui répète dans sa chambre d’hôtel, Klein nous offre le plus beau moment du film.

Pour être au cœur de l’action, la caméra va jusqu’à s’accorder des bains de foule et parvient à capter les expressions à vif. Les gros plans illuminent les visages et les immortalisent. Le réalisateur de Who are you Polly Magoo se saisit de l’atmosphère de la ville et nous invite dans une véritable plongée in situ, la mobilité de la caméra rendant l’enthousiasme communicatif et d’une rare justesse.

 Alger, « Mecque des révolutionnaires »

Par ailleurs, le film fait la part belle au soutien de l’Algérie en faveur des luttes dans le continent et à l’étranger. Des Black Panthers américains aux représentants du Congrès National Sud-africain (A.N.C), le PANAF a été l’occasion de rassembler des militants de la cause anticolonialiste et des activistes pour les droits civiques sous la même bannière. Sans tomber dans la récupération, le film est ouvertement politique. En effet, l’Etat algérien a souhaité faire du Festival un levier d’envergure pour conforter sa construction nationale et renforcer son rôle de locomotive du continent. Augurant une nouvelle étape du projet décolonial, le président Houari Boumediene, dans son fameux discours sur l’africanité, a ainsi déclaré :

 Notre continent aux trois-quarts libéré, mais en pleine possession de son destin, entreprend, certes, avec ce premier Festival culturel panafricain, de réussir le plus grand rassemblement des arts et des lettres de l’histoire qui soit à l’échelle d’un continent et à la mesure de la totalité de ses expressions. Il entreprend, par là-même également, une étape nouvelle dans la lutte conséquente contre toute forme de domination. (La Culture africaine, 1969)

Toutefois, le succès de la première édition du PANAF revient moins au leadership algérien qu’à son effervescence populaire, dans un contexte où les germes révolutionnaires commençaient à s’épanouir. Parce que le PANAF de 1969 réhabilitait une perspective globale de la culture, ciment de l’unité africaine et de ses revendications sociales et identitaires, le Festival puisait toute sa force dans sa légitimité auprès des peuples. En effet, s’ils semblent galvaudés aujourd’hui, les idéaux de fraternité portés par le Panafricanisme ou le Panarabisme – dans le cas de l’Afrique du Nord –  apportaient un supplément d’âme à la dignité humaine. Différence qui pourrait bien expliquer le bilan très mitigé du PANAF de 2009 en dépit des moyens alloués, et ce, faute de « l’esprit PANAF » et d’une certaine conscience collective qui avait fait les beaux jours des pays non-alignés.

 

Alger, « phare du Sud décolonisé »

Dans sa généreuse sensibilité, William Klein rend toutes ses lettres de noblesse à une lignée de documentaires engagés pour la justice. Mieux encore, la lecture historique proposée en était foncièrement émancipatrice. Elle revenait à dire ceci : lorsqu’ils sont un couple armé de bonne volonté, l’art et la politique ne peuvent qu’enfanter des hommes et des femmes libres. Après 122 minutes d’un doux espoir pour un Risorgimento made in Africa dans sa formidable diversité culturelle, cultuelle, et linguistique, le documentaire se clôt par la phrase :

La culture africaine sera révolutionnaire ou ne sera pas.

Si la qualité des images est datée, celle des slogans n’a pas pris une ride.