Palestine Hosting Society : cuisiner pour ne pas oublier

L’assiette et la table ont définitivement trouvé leur place dans l’art contemporain à l’heure où un terrain d’exploration à mi-chemin entre cuisine et recherche s’est finalement installé, dissolvant une frontière devenue anecdotique entre ces disciplines. Cet entre-deux permet d’éclairer les tangentes économique, politique et culturelle reposant à la fois sur l’alimentation et sur le repas initiant un momentum de tentative, de partage et d’échange.

Depuis 2014, la Delfina Foundation de Londres a mis en place un programme artistique de quatre ans intitulé « Politics of Food » qui a convié plus de 70 artistes, chercheurs et cuisiniers à apporter leur contribution autour de ce thème. Aussi, en Octobre 2017, le dernier dernier acte de la Biennale de Sharjah 13 présentait un programme intitulé Upon a Shifting Plate faisant état d’une pratique – plus que d’une mode – centrée sur la nourriture.

C’est cette infinie possibilité de recherches et la pertinence des résultats qui en découlent qui ont encouragé en 2017 la création du collectif Palestine Hosting Society sous l’initiative de l’artiste Mirna Bamieh et avec le soutien de la Fondation Qattan. Trois projets actuellement développés amorcent une première année d’activité pour le jeune collectif. Leurs perspectives évolutives laissent place à des interrogations diverses faisant écho aux problématiques liées aux pratiques culinaires palestiniennes.

Il y a les Family Dinners qui ont permis à cinq chercheurs de présenter en collaboration avec une famille un repas reflétant une spécificité de leurs rituels culinaires à l’issue de plusieurs semaines de d’enquête ou encore Food Walks qui retracent les trajectoires géographiques – généralement conséquences de la conjoncture politique – d’aliments incontournables de la gastronomie palestinienne. Le dessein de Palestine Hosting Society est de sauvegarder l’héritage incarné par ces pratiques fondamentales de notre quotidien et de documenter leurs évolutions et métamorphoses accidentelles, comme pour reprendre le contrôle de leurs expérimentations et évolutions loin des contraintes de l’occupation israélienne.

Perpétuer le temporaire

Fruit d’un processus de remise en question de l’artiste palestinienne Mirna Bamieh, le collectif lui a permis d’achever une transition dans sa pratique artistique afin de se détacher d’une démarche solitaire et numérique dont la matérialité montrait ses limites. Après avoir suivi une formation intensive d’une année pour devenir chef, il était nécessaire pour elle de renouer avec sa pratique artistique. Après plusieurs tentatives de projets mises en échec par les capacités matérielles limitées de la Palestine, c’est finalement Palestine Hosting Society qui a vu le jour grâce à un collectif formé d’artistes, chercheurs ou encore cuisiniers.

Ce retour à la communauté, prolonge les précédents travaux de l’artiste notamment Potato Talks (2016) où des conteurs prenaient place dans l’espace public. Pour ce nouveau projet, le moment du repas, incarné par les Family Dinners, dont les préparatifs et le déroulement sont documentés, s’émancipe de son éphémère pour devenir un moment d’Histoire de la Palestine.

« L’aspect communautaire est très important, la nourriture crée sa propre communauté qui permet ce momentum » souligne Mirna Bamieh « Chaque chercheur a travaillé avec une famille qu’il connait, le menu a été créé en collaboration entre la famille et le chercheur et le repas a été accueilli chez eux. Tout tournait autour de ces familles. C’est leur nourriture et c’est eux qui reçoivent. C’est une expérience de partage très stimulante pour les hôtes »

Les Family Diners racontent désormais différentes histoires de la Palestine. Il y a Suzanna Mattar, cheffe, qui a réalisé trois mois de recherches sur les techniques de conservation de sa mère originaire du Sud-Liban, qui, pour nourrir une très grande famille avec peu de moyens a toujours eu recours à des techniques de préservation inventives pour que le garde-manger soit toujours plein. Il y a aussi l’histoire de la famille Abu Heiba installée à Ramallah après une vie passée à Gaza. Lieu unique pour faire l’expérience de la cuisine Gazaoui, cette table et devenue pour Shima Hamad une amie du fils de la famille le terrain de ses recherches.

Retour aux fondamentaux

Comment expliquer cet engouement pour le thème de l’alimentation dans l’art ?

« Beaucoup d’artistes opèrent ce retour à la nourriture en réponse aux échecs de la politique, il est difficile de prédire notre futur, nous sommes vulnérables face aux super-puissances. Nous ressentons donc un besoin de revenir aux fondamentaux, au socle de notre échelle des besoins donc à la nourriture, aux aliments, à la terre. » nous indique Mirna Bamieh « L’art n’est pas le seul domaine à opérer ce retour mais également l’architecture, l’économie, c’est un mouvement global. »

Pour la cas de la Palestine, bien au delà de l’art culinaire, étudier les aliments c’est également reprendre possession d’un territoire dépossédé. C’est comprendre les enjeux d’une géographie désunie et remonter à la source d’une économie culinaire en déclin. Le rapport entre les besoins et les ressources des Territoires Palestiniens étant contrôlé, reprendre la recherche à la base de l’échelle semblait indispensable.

C’est dans cette démarche que les Food Waks sont particulièrement pertinents. Le premier, organisé par The Palestinian Art Court – Al Hoash, sur le tahine qui se déroule dans Jerusalem, aura pour but de mettre en lumière les bouleversements de l’économie du sésame. La ville qui comptait vingt usines de tahine n’en compte que deux qui ne s’approvisionnent plus en sésame en Palestine mais au Nigeria redistribuant les cartes de l’économie israélienne face à la Palestine. Entre Hebron et Nablus, le second tour aura pour thème le Akkub, légume parent de l’artichaut. Elément réputé pour son goût unique mais aussi pour la complexité de son pelage et de sa conservation : une fois coupé, le akkub continue de pousser. Bien que principalement cultivé à Hébron, ville où il est finalement très peu consommé, il est au centre de la gastronomie naplousienne.

Réceptacle de l’identité

Etre palestinien, quand on parle de nourriture, a de multiples définitions

affirme Mirna Bamieh. Souvent pensé comme un territoire disparate sous la croupe d’une fatalité unique, la Palestine en devient dépossédée – de son régionalisme – quand il est nécessaire pour une nation de démultiplier son identité. Palestine Hosting Society permet de renouer avec les spécificités de la cuisine locale, les particularités et les différences. Par leurs recherches et leurs expérimentations, Mirna espère remettre au centre une cuisine qui fantasme ce qu’il se passe dehors quand un tel savoir-faire subsiste dedans.

Le restaurant est une vitrine de notre identité et ici c’est devenu redondant, tous les menus offrent la même chose.

La singularité de la gastronomie palestinienne est d’avoir pu « cryogéniser » l’état des traditions culinaires à un instant T, celui de la Nakba. La cuisine de la diaspora est le reliquat d’identité qui s’est arrêté à une certaine évolution.

Si tu dînes à une table palestinienne aux Etats-Unis, d’immigrants de la première génération, tu mangeras quelque chose de similaire à ce que nous mangions il y a 50 ans. L’expérience de la nourriture dans la diaspora devient l’espace qui te permet d’accéder à la terre natale. La génération qui cuisine est survivante et c’est un lien avec l’histoire. Néanmoins, ce momentum est beaucoup plus apaisé quand il n’a pas le poids de la nostalgie.

Si pour le moment Mirna concentre ses efforts depuis la Palestine pour poser les jalons de ses recherches et de ses objectifs, elle souhaite dans le futur explorer également la diaspora palestinienne dans le monde et comprendre les adaptations d’une même culture à travers le monde. Ce nuancier de saveurs pour une même Cuisine donne une toute autre envergure à l’espace de la Palestine dont les pièces détachées de son territoire engendrent une extension infinie de son régionalisme, qui se déguste bien au delà de ses frontières.


Le site internet de Palestine Hosting Society ici

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