M’hammed Kilito – Révélateur photographique du Maroc d’aujourd’hui

Sur les clichés de M’hammed Kilito, les couleurs sont aussi vives que la vérité qu’elles dessinent, la lumière aussi crue et contrastée que la société marocaine qu’elle révèle. La série Morocco fait ainsi s’enchaîner des scènes de vie et des personnages types radicalement différents, illustrant les multiples facettes de ce pays dans toute sa complexité.

Né en Ukraine, M’hammed grandit et vit au Maroc jusqu’à ses 18 ans où il part suivre une formation en ingénierie puis en sciences politiques et en art au Canada. De Séville à Valence, d’Ottawa à Montréal, en passant par Buenos Aires, la vie à l’étranger lui permet d’établir des points de comparaison réinterrogeant le seul modèle de société qu’il avait jusqu’alors connu et considéré comme acquis. Sa conscience des inégalités et de l’injustice sociale dont souffre le Maroc en est renforcée. De retour pour un projet photographique, il réalise à quel point il apprécie la vie au Maroc : la lumière, ses couleurs, ses habitants… un mois suffit pour le décider à rester et voyager pour redécouvrir son propre pays. C’était il y a moins d’un an.

Donner à voir le Maroc de l’Autre

Pour M’hammed, la société marocaine se divise en microcosmes souvent hermétiques les uns aux autres. En s’appuyant sur plusieurs binarités opérantes (libéraux/conservateurs, milieux urbains/ruraux), il s’est donné comme objectif de donner à voir à chacun le Maroc de l’autre pour mieux confronter les Marocains à leur propre identité. Au cours des premiers mois de sa réinstallation, plusieurs affaires ont suscité d’importantes polémiques. Les réactions suite à la retransmission du concert de Jennifer Lopez à la télévision, l’arrestation et le procès des filles d’Inezgane ou encore l’interdiction du film Much Loved de Nabil Ayouch ont illustré les clivages qui scindent la société marocaine et aboutissent à des frictions régulières.

Prostitute

Prostitute

Soumis aux influences culturelles tantôt du Machrek, tantôt de l’Occident, n’échappant pas au mouvement planétaire de globalisation, le Maroc se cherche, à en oublier sa propre richesse. Il se remémore le hayek que portait sa grand-mère chaque fois qu’elle quittait sa maison à Oujda. Il s’est étonné, des années après, qu’elle ait abandonné son port : « Plus personne ne le porte », lui explique-t-elle, comme résignée au changement. En quête du « vrai Maroc », qu’il oppose au triangle Rabat/Casablanca/Marrakech, il voyage dans des régions où il peut encore se présenter comme def allah, cet invité de Dieu à qui l’on ne refuse jamais l’hospitalité. Au fil de ses déplacements, il s’enrichit de « la culture orale, du savoir ancestral transmis de génération en génération, comme du contact avec la terre et les animaux que nous avons perdu dans les grandes villes ».

La photographie, une nouvelle voie pour l’engagement

La photographie est devenue un medium pour exprimer ses idées. S’il a suivi avec attention les mouvements du 20 février 2011 depuis le Canada, sa déception face à la récupération de la mobilisation par certaines figures à des fins personnelles l’a conduit à trouver dans l’art une autre forme d’engagement. Il pose des questions, sans prétendre détenir les réponses. Dans un pays où le taux d’analphabétisme dépasse les 30% des chiffres officiels, la photographie présente l’avantage d’être appréhendée par tous les publics. En occupant l’espace public, M’hammed Kilito ambitionne d’aborder des thématiques aussi difficiles que la prostitution, le harcèlement de rue ou le travail des enfants.

Fuck Police

Fuck Police

Le choix du retour n’est pas simple, le statut de l’artiste au Maroc étant souvent peu valorisé et les espaces de création encore limités à un environnement institutionnel. Grâce aux réseaux sociaux, M’hammed est néanmoins parvenu à prendre contact avec différents acteurs de la scène artistique et culturelle marocaine qui lui ont permis de mieux appréhender son fonctionnement. Il travaille aujourd’hui sur deux projets artistiques qu’il ambitionne de sortir de manière concomitante, à l’instar du « travail en tiroir » du street photographer britannique Martin Parr. En parallèle de Morocco, son second projet part d’un souvenir d’enfance, lorsqu’il jouait avec les voisins du quartier au football en bas de son immeuble.

A l’adolescence, le nombre de joueurs a commencé à diminuer : les mêmes enfants, en fonction des moyens de leurs parents, partaient étudier à l’école privée ou se voyaient contraints de quitter le circuit scolaire pour commencer à travailler. Sur un cliché, Hassan, 14 ans, est déjà apprenti boucher. Que serait-il devenu si son milieu social le lui avait permis ? M’hammed tente d’y répondre en photographiant ses modèles en tenue de travail, avant de leur faire revêtir les habits et les photographier dans l’environnement du métier de leur rêve d’enfant.

La cité (Crédit : M'hammed Kilito)

La cité (Crédit : M’hammed Kilito) 

Le photographe prend son temps pour transposer ses idées sur papier glacé, tantôt carré en moyen format, tantôt rectangulaire en numérique, au gré des projets. Collectionneur de livres de photos, il tient à penser ses séries comme un mouvement. Il cite comme contre-exemple le travail d’Alex Webb de l’agence Magnum. S’il juge son recueil « The Suffering of light » magnifique, la succession chronologique des clichés, tous plus beaux les uns que les autres, finit par lasser son observateur. Du côté du Maroc, il tient à citer son photographe préféré, Daoud Aoulad Syad. C’est que la révolution digitale a beau avoir démocratisé l’accès à la photographie – ce qui n’est pas pour lui déplaire, M’hammed reste convaincu que ces photographes ont une vision à offrir qui peut encore faire toute la différence.

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