Les pupilles de Tlemcen : Houari Bouchnak et Arslane Bestatoui

Les portes de « La grande maison » nous ont été ouvertes à Tlemcen. Dans un recoin de l’immense bâtiment du Mechouar, la fondation Dib œuvre pour la promotion de l’œuvre du grand écrivain et multiplie les actions culturelles en organisant différents ateliers autour de sa création littéraire.

Des rangs de l’atelier photo, se sont distingués remarquablement deux jeunes réguliers. Houari Bouchnak et Arslane Bestaoui sont deux jeunes autodidactes à l’œil vif et perspicace. Ils ont rapidement pu mûrir leur pratique pour développer des projets intimement liés à la société algérienne.

Houari, le guetteur d’expression

A l’âge de dix ans, Houari s’est intéressé à la photographie grâce aux encouragements de sa mère qui lui tendait l’appareil pour immortaliser des instants de vie familiale. Des photos de vacances aux photos d’amis puis de paysage, Houari adorait manier l’objet dont il se saisissait pour aller à la rencontre de l’humain.

Houari Bouchenak © Mehdi Drissi

Houari Bouchenak © Mehdi Drissi

Des premiers pas timides

Lorsqu’il rejoint une agence de communication qui rassemble des données sur le patrimoine matériel et immatériel algérien, ses photos, au grain de sel particulier, ont été remarquées.

Autour de Houari, on est nombreux à s’accorder sur le fort caractère de ses prises de vue. Ce qui l’amènera à enchaîner des formations et à intégrer l’association « la Grande Maison » en 2006. Il y rencontre Faouzi Qarra, tlémcénien mordu de théâtre, qui l’incitera fortement à exposer. Gêné au départ, il accroche ses tirages sur les grillages bleus de la cafétéria de la maison de la Culture de la ville, évitant ainsi les regards des passages principaux.

L’année suivante, sa participation au projet associatif collectif « Dédales intimes » lui a permis de se rendre à la ville-jumelle de Tlémcen; Montpellier. L’installation prenait la forme d’une grande maison labyrinthique à 3 pièces qui présentaient à la fois des textes, de la peinture et du théâtre vivant à l’occasion du passage de visiteurs.

Lors de ce séjour, il suit des cours de photographie à l’université Paul Valéry et pris confiance en lui.

© Mehdi Drissi

© Mehdi Drissi

L’Algérien : un thème de prédilection

Houari porte un grand intérêt pour la photo-documentaire, pour le fatalisme qu’elle dénude dans un cadre.

Muni de sa sincérité et influencé par ses lectures, il cherche à se rapprocher de ses sujets pour capturer la plus honnête de leur expression. Dans sa série « Kulturuge », Houari tire des portraits expérimentaux qui remettent en question notre rapport à l’histoire.

Grâce à un jeu de lumière, Houari éclaire un coté du visage au détriment d’une autre moitié plus obscure. Il met ainsi l’accent sur l’état de notre connaissance du passé dont des pans nous restent inconnus.

L’écrit et l’image sont fusionnés pour ressortir des visages aux yeux expressifs. Ce sont ainsi deux séries de photos qui se mêlent dans Kulturuge avec comme cœur de réflexion le personnage complexe de l’Algérien. Les premiers portraits serrés sont ceux d’algériens vivant en Algérie, au regard vif qui exprime parfois une détresse.

Les seconds, qu’il expose actuellement, sont nés d’un travail développé en commun avec le photographe Antoine Agatha à l’occasion du festival d’Arles. Houari photographie cette fois des algériens vivant en France tout en mettant en avant le vide qui les entoure.

Sur ces visages conscients de leur complexité, Houari transpose la lettre de l’Emir Abdelkader à Napoléon III.

Soucieux de l’image que lui et ses compatriotes reflètent à l’étranger, ses photographies interrogent aussi les traditions et la culture algérienne.

Pour son prochain projet, Houari s’apprête à plier bagages pour s’installer le temps d’une année à la commune de Hammam Bou Hadjar. A travers l’acte photographique, il rapportera le quotidien d’une mère et de sa fille, solitaires dans leur ferme familiale. Au gré des saisons, le changement de la chromatique promet d’être résolument esthétique.

Arslane, un humaniste derrière l’objectif

Cette altérité est aussi partagée par Arslane Bestaoui, dont les photos reflètent son souci des conditions de vie difficile d’une partie de la société algérienne.

Bien qu’il ait commencé professionnellement la photographie que depuis 3 ans, ce lauréat du concours du WordPress Photo a déjà pu multiplier les expositions.

Paris, source d’inspiration

En 2011, alors en pleines vacances parisiennes, Arslane, en bon touriste, ne cesse d’appuyer sur son déclencheur. Lui qui avait une curiosité pour l’outil et l’art photographique sans en maîtriser la technique, tire certains de ses clichés à son retour à Tlemcen et les montre aux intervenants de l’atelier de « la Grande maison » qu’il suivait assidûment.

Nul doute que sa spontanéité affranchie de toute rigidité et déclarée dans chacune de ses photographies provoque une émotion forte chez ceux qui les visualisent. Son impulsion prépondérante guide sa main depuis et il commence à se chercher dans cet univers visuel.

Lorsqu’il rencontre Patcrick Sacman, de l’agence Magnum Photo en visite à Tlemcen, les deux font une petite balade dans la ville et Patrick Zachmann prend des photos avec une énergie frénétique. Arslane, les étoiles dans les yeux, évoque ce moment clef de sa vie au cours duquel il nous confirme avoir absorbé une détermination sans pareille.
En 2012, Arslane revient à Paris pour une deuxième visite. Sur une terrasse de café, la question de sa consécration à la photographie le taraude.

Avant de finir sa tasse, la réponse lui paraissait évidente. Pas de place aux hésitations, il se sentait fin prêt pour abandonner les petits boulots qu’il enchaînait et se dédier à sa passion.

Une fois sa décision prise, sa rencontre avec Zaourar Hocine le conforte dans son choix. Il se lie d’amitié avec ce grand photographe algérien dont les photographies représentaient des réponses évidentes pour les quêtes personnelles d’Arslane.   « Hocine, qui m’a beaucoup marqué par son humilité, est un véritable maître pour moi. Partager avec lui m’a beaucoup appris. », nous confirme t-il.

L’œil-témoin de réalités sociales

En besoin de prise de recul pour approfondir sa réflexion, Arslane se retire de Tlemcen pour trouver refuge à Beni Abbass. Pendant la fête du Mouloud (anniversaire de la naissance du prophète), il suit des baroudeurs et découvre leurs cérémonials. Il réalise le reportage-documentaire « L’erg d’éden » qui relate leurs rituels psalmodiques.

L'Homme de la Maison © Arslane Bestaoui

L’Homme de la Maison © Arslane Bestaoui

En 2013, Arslane est retenu pour l’académie du WordPress Photo et reçoit une bourse qui lui permet de réaliser un reportage sur les femmes du quartier Sidi el Houari, d’Oran.

Il vit une véritable expérience humaine entre les murs étroits de ce quartier historique de la ville « bahia », lorsqu’il partage le quotidien laborieux de ses jeunes femmes. Ces dernières, ne manquant pas de détermination pour nourrir leur famille, ne connaissent pas le repos.

Dans des intérieurs mal éclairés mais chaleureux, Houari réussit à placer et faire oublier sa caméra en se faisant adopter par le quartier.

« Women of Sidi El Houari », projet photographique, dont les lumières timides et les couleurs ternes dévoilent la gracieuse modestie du quartier, tire ainsi sa révérence à la force féminine et lui fait un bel hommage.

Curieux de comprendre la ténacité des résistants aux conditions de vie difficile, les projets d’Aslane tendent l’oreille à la misère algérienne et son talent esthétise le corps-à-corps violent que nombreux mènent à son encontre.

Lié fortement à son pays, Arslane déclare ne pas vouloir quitter l’Algérie mais œuvrer plutôt à dévoiler ses blessures pour espérer les voir pansées.

L'Homme de la Maison © Arslane Bestaoui

L’Homme de la Maison © Arslane Bestaoui

Tout en misant sur sa spontanéité, le photographe vient d’emménager à Alger où il mène actuellement un projet encore gardé secret. Il nous promet des images fortes qui sortent du cœur et pour lesquelles l’action a été très rapide, car telle est la combinaison clef pour dégager chez Arslane l’irruption d’un volcan interne à chaque fraction de secondes où il appuie sur le déclencheur.

 

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