Les Chebabs de Yarmouk. Immersion dans la vie d’un réfugié

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De 2009 à 2011, le réalisateur Axel Salvatori-Sinz a filmé cette jeunesse née à Yarmouk, habitée par des rêves ordinaires et hantée par une Palestine inconnue, « là où l’âme naît sereine et meurt de fatigue ».

Yarmouk, banlieue-sud de Damas. Dans un appartement dans le plus grand camp de réfugiés du Moyen-Orient cohabitent de jeunes Palestiniens. Ala’a, Hassan, Tasneem, Samer et Waed. Les Chebabs de Yarmouk nous permet de réaliser la valeur de ce carnet nommé passeport, outil indispensable pour s’arracher des murs bétonnés du camp. Dans ce documentaire, il n’est pas question de résistance ni d’idéaux politiques et religieux.  La dimension politique est quasiment mise de côté bien qu’elle régisse et pourrisse chaque aspect de la vie du camp. Au seuil de l’âge adulte, ces jeunes n’ont qu’une façon de résister, et celle-ci consiste à vivre leur vie et développer leur art. Pas de rêves d’unité arabe, ni de révolution islamique : leurs aînés ont déjà déconstruits tous les mensonges. Finalement, Alex Salvatori-Sinz filme des jeunes simples dans un Orient compliqué, où il ne reste que l’art et ce besoin de prendre le large. Contrairement à d’autres, partir est un besoin pour les « chebabs », car il est impossible d’imaginer l’avenir entre les murs de Yarmouk. Y grandir, c’est bien assez. Ce qui résonne comme un caprice pour le jeune occidental en quête d’aventures est une nécessité dans le camp. Ce qui n’est qu’une simple démarche administrative pour le jeune  occidental est ici un parcours du combattant avec sésame à la clé, tant les administrations étatiques interfèrent dans la capacité de déplacement des réfugiés. Pour le Palestinien de Yarmouk, partir, c’est se construire, et vice versa. Leur art résonne comme une évidence. Dans cet environnement, écrire des poèmes apparaît comme une façon subtile de porter plainte.

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Filmer un environnement-aimant

Au fil des ans, ces jeunes Palestiniens apprivoisent ce lieu de naissance étouffant, cette construction définitivement provisoire. Dans Les chebabs de Yarmouk, il ne s’agit pas uniquement de jeunes en quête d’ailleurs, la caméra du réalisateur pointe également la complexité du lien affectif qui se bâtit entre eux et cet environnement non choisi, qui est pourtant le leur et qui mérite, à ce titre au moins, d’être aimé, presque malgré eux. Les murs de Yarmouk ont vu grandir cette bande de copains, ceux-ci y ont vécu leur enfance, leurs premiers amours et leurs amitiés. Ils passent leur temps à organiser leur départ de Yarmouk, et pourtant, au moment venu, les adieux sont difficiles, les craintes demeurent. En attendant le départ, cette bande de copains vit, aime, fume, et passe son temps à contourner les obstacles qui s’érigent devant elle. Les chebabs  sont filmés dans leur intimité et se livrent sans tabou sur des morceaux de leur vie. Ils se racontent devant la caméra, de confidences en poèmes. Le documentaire met en scène, sans pudeur, l’émotion, les crises de doutes et les coups de déprimes des jeunes Palestiniens. Filmés au carrefour de leur vie, entre rêve de liberté et appartenance familiale et sociale, où trouver sa place ? Faut-il céder à la tentation de rester, s’adapter à ce sort tragique, protégés de la confusion extérieure par les murs du camp ?

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Une Palestine rêvée

Ces jeunes n’appartiennent à personne, si ce n’est à ce bout de terre disputé, abstrait, lointain, qu’ils se figurent et s’imaginent : la Palestine. Le lien qui les unit à la Palestine est intéressant car il est nourri par leur imaginaire et le récit des anciens. Les  chebabs  passent leur temps à aimer une terre que leurs pieds n’ont jamais foulé. Ils n’y espèrent même pas un retour dans un futur proche. Ils pensent à elle, l’aiment, lui écrivent des poèmes. La Palestine apparaît dans ce camp comme une terre désirée, idéalisée, et insaisissable, qui n’a jamais été aussi belle que dans les vers écrits par ses enfants.

Yarmouk, au carrefour des tragédies du Levant

Le camp de Yarmouk était le résultat d’une guerre, avant l’autre guerre. Pendant le tournage, la Syrie n’était pas encore à feu et à sang, c’était le temps calme et asphyxiant de la dictature. Néanmoins, ce grand pays était déjà un espace bien trop étroit pour des artistes en quête d’air pur. Puis la présence des Palestiniens à Yarmouk étaient déjà le résultat tragique d’un autre conflit interminable, lui aussi. Yarmouk est un dommage collatéral dans un Moyen-Orient qui n’en finit pas de s’embraser. Abritant hier les réfugiés de la première guerre israélo-arabe, la ville s’est retrouvée avec la guerre syrienne coincée entre l’armée syrienne et les djihadistes de l’État islamique. Depuis quelques jours, les habitants de Yarmouk sont à nouveau contraints de fuir, Yarmouk étant tombé aux mains des djihadistes de l’État islamique. Finalement, ce documentaire capture une époque qui s’achève en même temps que son générique, un chaos avant le chaos, une archive qui ne saurait éveiller notre nostalgie. Ce documentaire nous offre une rencontre avec 5 grains de sable dans un Levant désertique, et vient nous rappeler que si l’Histoire passe son temps à changer le cours de nos vies, il nous est difficile de changer le cours de la sienne.

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