Mohamed Fariji est un artiste casablancais, Léa Morin une chercheuse française vivant depuis près de 10 ans au Maroc. Ce duo fourmille d’initiatives qu’il décline au sein de plusieurs espaces conçus pour stimuler la créativité artistique et la recherche.
Tout commence en 2010 avec la création d’un atelier accompagnant les artistes marocains dans l’élaboration de leurs concepts et leur accès à du matériel adéquate. En 2012, Léa et Mohamed créent officiellement l’association de l’Atelier de l’Observatoire dont les actions polymorphes, toujours participatives, encouragent les projets artistiques (L’Aquarium, le Musée collectif, la Serre, la Ruche), éducatifs (la Madrassa) et de recherches (les Invisibles). La clef fédératrice des initiatives réside dans la mobilisation des individus pour que ces derniers s’approprient l’espace public et construisent une mémoire collective alternative.
L’Aquarium imaginaire : un espace à reconvertir
Le premier projet naît de la découverte de l’ancien Aquarium de Casablanca, situé entre la Foire de Casablanca et la Mosquée Hassan II. Construit en 1962, le seul aquarium d’une grande partie de l’Afrique a rencontré un succès important jusqu’à sa fermeture progressive à partir de 1987, définitive en 2007. Les autorités évoquent une contamination de l’eau des bassins mais pour Mohamed, il s’agit avant tout de la construction de la mosquée voisine ayant nécessité de couper l’accès à l’eau qui a entraîné la mort des poissons exposés.
En interrogeant le voisinage et l’ancien personnel, l’artiste découvre tout l’imaginaire que les casablancais ont construit autour de ce lieu devenu mythique. Sa fermeture a marqué une rupture à la fois spatiale par la création d’une friche urbaine, mais aussi éducative en privant les casablancais d’un endroit didactique. Mohamed l’inclut dans le contexte des années 1980, dites années de plomb, durant lesquelles l’unique théâtre municipal de la ville est également fermé. L’Aquarium constitue le point d’entrée d’un travail plus général de Mohamed sur les espaces publics détruits et l’imaginaire collectif suscité qu’il s’attache à révéler. Cela a abouti à l’exposition l’Aquarium imaginaire en 2014 réunissant des objets qui redonnent vie au lieu, en vue de sa réouverture et de sa reconversion.
Les vitrines du musée collectif : miroir d’une mémoire reconstruite de la ville
Mohamed et Léa partent du constat d’un manque de lien social au sein de l’espace public marocain. Les individus peinent à s’y investir, à la fois mal informés de leurs droits de citoyen et freinés par la lourdeur des démarches administratives. Pour y remédier, le duo propose une action participative de collecte pour sauver de l’oubli ce qui est sur le point de disparaître et l’exposer dans un musée collectif « retraçant l’histoire de ce qui aurait pu ne plus être ».
Cette démarche valorise ce qui est souvent considéré comme indigne d’être archivé, objets aussi bien collectifs qu’intimes absorbés par la ville. La démarche artistique porte davantage sur le passage à l’acte : l’action même de négocier avec les autorités pour collecter les objets a été pour Mohamed une façon de surmonter positivement la frustration accumulée suite aux décisions arbitraires et blocages rencontrés, notamment durant le projet de l’Aquarium. Toutes ces réflexions sont prolongées par le projet de recherches « les Invisibles » qui conçoit, à partir d’un travail d’archivage, une écriture alternative de l’histoire des individus, par les individus.
Le musée est conçu pour fonctionner par vitrine. La première présente des objets récupérés au moment de la destruction en juin 2015 de l’école Ibnou Abbad, boulevard Ziraoui. Si des associations comme Casa mémoire militent pour la préservation du patrimoine architecturale – dans ce cas celle d’un bâtiment de l’architecte Elias Suraqui, Mohamed est plus sensible à la perte du patrimoine immatériel, celui de la mémoire vécue. La deuxième est pensée en juillet 2015 lors de la démolition du parc Yasmina au sein du grand parc de la Ligue arabe dont Mohamed parvient à négocier la récupération des manèges. Autre idée, celle d’un jukebox qui renfermerait près de 1500 vinyles des années 1970-80 que Mohamed a récoltés. Il s’agit de musique marocaine dont les artistes n’ont jamais pu sortir leur enregistrement.
À Aïn Sebaa, Mohamed prépare une nouvelle vitrine en travaillant sur le patrimoine industriel. Il tape aux portes des entreprises pour leur demander l’accès à leurs archives gardées privées : documentation, machines du processus industriel, photographies promotionnelles, uniformes, conversations enregistrées… Mohamed et Léa y organisent désormais des workshops pour sensibiliser aux actions à mener sur ce patrimoine spécifique. Un groupe d’étudiants de l’école d’architecture de Casablanca travaille sur le volet scénographique du musée et tente de localier l’endroit le plus opportun pour son installation prochaine.
Une mise sous serre des énergies pour mieux faire germer les initiatives
La Serre est installée dans les locaux ruraux de l’Atelier de l’Observatoire à Laasilat, près de Bouskoura (32km de Casablanca). Cet atelier d’artistes est conçu à l’instar d’une serre dans laquelle les végétaux poussent dans les meilleures conditions constituées qui soient. Ce microcosme épargne les participants des contraintes exogènes pouvant nuire à leur créativité et propose un environnement stimulant auquel se joint des habitants de la région pour lesquels, comme dans toutes les campagnes du pays, peu d’offre culturelle est proposée.
Pour sortir l’art de son élitisme social, la serre a pour vocation à être itinérante et a été déplacée au sein de divers espace public à Casablanca, Marrakech – en off de la biennale, et à Bruxelles. La programmation se fait ainsi in situ, en fonction des stimulations de chaque lieu. A Casablanca par exemple, dix jours de programmation dans le parc de la Ligue arabe ont réuni une bibliothèque, des ateliers artistiques, des points de rencontre et un espace d’expression où les artistes, comme les graines distribuées, utilisent la parole publique pour faire germer des idées et des concepts. Le mouvement souhaité est celui du passage : aucune programmation fixe n’a été prévue longtemps à l’avance afin de permettre aux artistes et au public de venir spontanément et de trouver leur place.
Et ça n’est pas tout ! En parallèle de la Serre se situe la Ruche, une résidence d’artistes accompagnant de jeunes artistes à la fois sur les plan technique, financier et administratif pour combler le manque de connaissances concernant les démarches à entreprendre et les réseaux à contacter pour faire progresser chaque projet. Cet accompagnement s’est prolongé dans un véritable programme éducatif, la Madrassa, qui réunit des jeunes de la région – quinze participants l’année dernière, afin de les former aux pratiques curatoriales et mettre en relation leurs énergies. Des workshops ont été organisés à Alger et Nouakchott.
La prochaine rencontre proposée par l’Atelier de l’Observatoire se déroulera le 26 novembre à l’Uzine à Casablanca.
Pour plus d’informations sur chaque projet, rendez vous sur le site Internet : l’Atelier de l’Observatoire.