Youssef Alimam : « Le déni coule dans nos veines comme le Nil au milieu de l’Egypte »

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Lisez Ya habibi… Let’s talk about sex, notre critique du court-métrage de Youssef Alimam

Rencontre avec Youssef Alimam, jeune réalisateur indépendant âgé de 22 ans mais aussi musicien, compositeur, scénariste, acteur et photographe. Diplômé de l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire, il a également une formation en ingénierie du son de l’Institut d’Enregistrement de Montréal.

Libido, son projet de fin d’études, a reçu le prix étudiant Youssef Chahine du meilleur court métrage documentaire en 2012 et le Prix Rotary du meilleur film sur la paix en 2013.

Quelle est la genèse du film ? Comment avez-vous eu l’idée d’aborder le thème de la frustration sexuelle ?

Youssef Alimam : C’est quelque chose qui trotte dans la tête de tout le monde… Et sans aucun doute la curiosité s’accroît lorsque le sujet est tabou. J’ai simplement senti que le moment était venu de franchir le pas et de se demander pourquoi est-ce autant difficile d’en parler ? Cela a donc démarré avec une question qui s’est ensuite développée dans le concept que vous voyez dans le film. Il s’agissait de mon projet de fin d’études et j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose qui pouvait aider les autres et qui ne consiste pas uniquement à assembler des images pour obtenir un diplôme.

A t-il été difficile de trouver des personnes prêtes à parler de ce sujet ouvertement (et à visage découvert) ?

Youssef Alimam : Il est évident que le sujet est très délicat à aborder et met mal à l’aise… c’est exactement pourquoi j’ai voulu faire ce film. Quand les gens ont commencé à comprendre le concept et des faits dont ils n’avaient jamais entendu parler (les interviewés sont principalement des jeunes diplômés qui n’ont jamais assisté à un cours d’éducation sexuelle pendant toute leur scolarité), ils ont commencé à soutenir le projet et se sont sentis en confiance pour en parler.

 Derrière l’humour, Libido pose des questions très sérieuses et présente de nombreuses statistiques. Était-ce une stratégie délibérée de faire à la fois rire et réfléchir sur un problème bien réel ?

Y.A. : La comédie est mon genre de film préféré. J’avais envie de faire un documentaire drôle pour ceux qui le regarderaient, en éliminant tout risque de le rendre ennuyeux pour les spectateurs, particulièrement les adolescents. Et en même temps, je tenais à mettre à la portée de chacun des informations scientifiques utiles que la plupart ne connaissent pas.

D’après vous, un film comme le vôtre  aurait-il été possible avant la révolution? Est-il plus facile à diffuser sur les réseaux sociaux grâce à l’activisme culturel qui a émergé après janvier 2011?

Y.A. : Je pense que oui. En effet, depuis la révolution beaucoup de gens sont plus ouverts pour discuter de ces questions sans crainte. Que les portes autrefois verrouillées aient été ouvertes m’a beaucoup aidé pour mon sujet. Je ne m’attendais pas à ce que le film soit autant partagé, ce fut une surprise. En fait, c’était avant tout un projet de fin d’études destiné à mon école de cinéma, mais le film a circulé ensuite partout sur le web.

Je suppose que ce sujet déchaîne les passions… Avez-vous reçu beaucoup de messages de personnes qui ont vu le film? Est-ce que certains d’entre eux vous ont touché particulièrement ?

Y.A. : La majorité des messages disaient : « Où est la seconde partie ? ». Les gens ont généralement « liké »  la page facebook après avoir visionné le film, certains ont laissé des messages sur le mur pour m’apporter leur soutien et d’autres ont exprimé leur souhait de voir une suite dans laquelle le sujet serait traité du point de vue féminin.

Et ce que je voulais justement, c’est que les gens qui regardent Libido se rendent compte que la fin est la partie la plus importante. Juste avant le générique de fin, on peut voir un jeune à qui l’on pose la question : « Alors, comment une fille égyptienne gère -t-elle ce problème ? ». Celui-ci  répond simplement par un bruit de la bouche, une façon sonore de s’exprimer très courante chez les Égyptiens et qui parle d’elle-même… Libido en dit plus sur les Égyptiennes que sur les Égyptiens, et en répondant à la question la plus importante avec une simple onomatopée qui signifie « Je n’en ai aucune idée / Il n’y a pas de réponse à cette question », je crois que nous avons résumé la façon dont notre société traite le problème féminin.

Selon vous , la liberté sexuelle est-elle concevable dans un avenir proche en Egypte ? Comment les choses peuvent changer ? Est-ce que les Égyptiens, en particulier les femmes, sont capables d’être à l’aise avec elles-mêmes concernant la vie sexuelle avant le mariage?

Y.A. : Et bien, mon espoir est seulement de faire prendre conscience aux gens que l’ignorance à propos du sexe en général est un problème, et qu’il cause plus de tort que de bien. Ce n’est pas quelque chose d’immoral et il affecte le comportement de notre société, qu’on le nie ou pas. L’éducation sexuelle est essentielle, indépendamment du fait que l’on choisisse ou non d’avoir des rapports avant le mariage. Ce n’est d’ailleurs pas le problème majeur, mais si les gens ne sont pas bien informés, ils peuvent prendre des risques sans même le savoir. J’espère donc que le film poussera les gens à s’intéresser aux facteurs biologiques derrière le sexe, et qu’ils seront conscients des risques qu’un rapport sexuel non protégé peut engendrer et non pas ignorer le sujet jusqu’à ce qu’ils se marient. La première étape pour être à l’aise dans la vie sexuelle après le mariage est de savoir qu’être éduqués sexuellement est un droit. Encore une fois il n’y a rien d’immoral là-dedans. En revanche, s’engager dans toute forme d’acte sexuel sans une éducation appropriée conduit à des problèmes plus graves comme une grossesse non désirée et des MST .

 Bien sûr. Mais une fois que l’éducation sexuelle est un acquis, les jeunes deviennent moins disposés à se laisser dicter leur comportement. Ne pensez-vous pas que disposer de son propre corps fait partie des droits de l’homme ? 

Y.A. : Je n’observe pas un ordre en particulier. Je constate que les gens sont déjà engagés dans des actes sexuels plus ou moins poussés comme s’embrasser en public ou avoir des relations avant le mariage. Que ce soit considéré immoral ou pas. Que ce soit un délit ou pas. Les statistiques sur la pornographie indiquent que nous occupons la deuxième place sur les dix premiers pays dans la recherche du mot sexe sur Google. De nombreuses autres statistiques citées dans Libido démontrent que quelque chose ne va pas. Le déni coule dans nos veines comme le Nil au milieu de l’Egypte. Cela se passe sans l’accompagnement nécessaire. Tout acte sexuel au sein d’un relation est quasiment toujours accompagné de sentiments de culpabilité, de honte, de paranoïa ou de peur, et n’est pas considéré comme légitime. Nous devrions donc commencer d’abord avec la racine du problème (le  manque d’éducation sexuelle). Ce n’est que la première étape. Et pour conclure avec une autre citation « Un chemin de mille lieues commence toujours par un premier pas ».

Que gagnerait la société égyptienne si ses citoyens étaient sexuellement épanouis ?

Y.A. : La question n’est pas la satisfaction sexuelle et il nous faut plutôt regarder d’abord la racine du problème. La sexualité est traitée de manière négative, sous tous ses aspects (tabou, immoralité ou indécence) et cela affecte psychologiquement les Égyptiens dans leur vie quotidienne. En effet, en ne pensant à la sexualité que sous un prisme négatif, et ce depuis l’enfance, ils se sentent honteux, coupables et troublés. Ce qui est à l’origine de comportements comme le harcèlement sexuel ou la maltraitance à l’égard des enfants, qu’elle soit physique (abus sexuels, excision) ou psychologique. Les maintenir volontairement dans l’ignorance est tout autant une violence qui conduira à des problèmes. Beaucoup de problèmes n’ont pas été abordés de manière approfondie dans le film en raison de sa courte durée (15 min). Je suis convaincu que nous pouvons améliorer la façon dont la société traite ce problème en admettant d’abord que « Oui, c’est un problème » et que la manière dont il est géré n’est probablement pas la plus adéquate. Nous en voyons les résultats (dans la rue, à l’école, à la maison, dans nos relations, etc) Il nous faut donc admettre, comme un fait non négociable, que des mesures doivent être prises pour toutes les questions concernant le sexe (que ce soit le harcèlement , le manque d’ éducation sexuelle  ou la peur de connaissances sur le sujet).

Tout part d’un problème qui est le manque d’éducation sexuelle. Une fois que celui-ci sera résolu, nous pourrons commencer à  nous attaquer aux problèmes connexes. Je ne peux qu’espérer que l’éducation sexuelle devienne un droit pour chaque Egyptien, et que l’on commence à réaliser qu’il est aussi important que n’importe quel autre sujet dans le programme scolaire égyptien.

Avez-vous entendu parler des deux adolescents marocains arrêtés pour une photo de baiser sur Facebook ? Qu’en pensez-vous ?

Y.A. : C’est une des choses les plus tristes que j’ai entendu, et je suis conscient de la façon dont les gens peuvent percevoir un baiser comme un acte offensant. Mais nous devrions plutôt nous poser ces questions, et penser avec bon sens : « Qu’est-ce qui porte le plus préjudice, le harcèlement sexuel ou un baiser ? Est-ce que la prison aura un effet positif ou négatif sur ces deux adolescents qui n’avaient aucune intention de nuire à qui que ce soit ? Est-ce que ce baiser a causé du tort à quelqu’un ou est-ce la réaction face à ce baiser qui en a causé davantage ?  Devons-nous vraiment réagir face à un baiser de la même manière que nous réagissons face à un acte de violence ? »

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