Où en est l’Algérie avec son histoire ? C’est la principale question à laquelle répond le projet multimédia Fabriq Algeria, réalisé par Camille Leprince, une ex-coordinatrice française de la mission Médecins du monde à Alger.
Pour répondre statuer sur le rapport qu’entretient aujourd’hui l’Algérie avec son passé, Fabriq Algeria va s’intéresser au regard porté par une génération d’artistes ayant grandi durant la décennie noire (1991 – 2002), période sombre où l’Algérie fut déchirée par une guerre civile opposant divers factions islamistes à l’armée algérienne.
La mise en branle du projet commence en 2009, durant un voyage qui s’étend sur trois ans en Algérie. Leprince était entrée dans une phase de découverte, avec son lot nécessaire d’interrogations. Questionnements auxquels, progressivement se substituera un puzzle nourri des voix, des vécus, des artistes-témoins qu’elle rencontre. La transition est fructueuse : aux questionnements désordonnés de la première phase se substitue une pièce harmonique faisant sens, Fabriq Algeria. Ainsi, le projet se veut être une plateforme multimédia, mettant l’accent sur la voix et l’image.
Dérision, mémoire, féminité, orientalisme, africanité, exil et mobilisation
C’est sur une mélodieuse chanson aux consonances acoustiques, accompagnée d’une photographie éloquente, que le site s’offre à nous.
Mise en bouche agréable de bonne augure. Présage qui se confirmera sans équivoque. La présentation du site est intuitive. Le choix des couleurs sobre et juste. Le projet s’articule autour de sept thématiques : dérision, mémoire, féminité, orientalisme, africanité, exil et mobilisation. Chaque thème renvoie aux histoires singulières, aux outils et modes de travail propres (peinture, sculpture, vidéo, photographie, musique) aux principaux témoins-artistes.
L’on se retrouve ainsi véritablement devant des récits, aux réminiscences autobiographiques, mêlant réflexions politiques et sociales, myriades de couleurs et de matériaux, et interrogations existentielles. Mais, de cette cacophonie mélodieuse se dégagent, en filigrane, de multiples fils rouges : le rapport au corps (social et individuel), le rapport au politique, le rapport à l’art (entre l’artiste et son art, entre l’artiste et la société spectatrice). À travers les regards désenchantés des artistes, nous sentons un peuple en attente d’une révolution, d’un changement, qui tarde à venir.
Après les deux révolutions avortées (celle de la décennie noire et celle du printemps arabe), il ne reste plus à la jeunesse sans avenir qu’à s’aménager ses propres espaces de liberté, d’espérance, échappant au despotisme social et politique. Il faut bien se façonner des exutoires pour se soustraire d’un quotidien orwellien jusqu’à feindre l’ubuesque. Pour autant, les travaux ont beau dégager un fonds de désespoir, une lueur demeure toujours dans la nuit. En témoigne la peinture de Mehdi Djelil tournant les islamistes en dérision, les dépeignant tels des monstres drolatiques. On sent tout le travail de l’artiste pour démystifier, déconstruire l’entité islamiste qui a imposé une marque traumatique dans l’inconscient collectif algérien. Une manière de pousser l’Algérien à dépasser cet épisode, à de ne plus prendre les islamistes « au sérieux« .
En somme, le projet cherche autant à explorer les trajectoires d’artistes que d’inviter le spectateur à poser un autre regard sur l’Algérie. Un regard en rupture avec « l’Algérie du couscous et des mille et une nuits« , selon les mots d’un des artistes, Oussama Tabti. Un regard en défaut avec l’orientalisme commun ou les représentations stéréotypées des médias. Un regard, enfin, qui aborde toute la complexité de la psyché collective d’un peuple qui se cherche et espère. En fait, Fabriq Algeria se présente ainsi fondamentalement comme un espace de communication, d’expression, de rencontre, nous invitant à avoir nous-même une autre expérience de l’Algérie. Et nous pouvons dire que l’expérience est réussie !
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