Electro chaâbi, hymne d’une Egypte émancipée

Extrait du documentaire de Hind Meddeb. Crédit : DR

C’est à l’Institut du monde arabe que nous rencontrons Hind Meddeb, réalisatrice du film Electro chaâbi.

Avec un enthousiasme contagieux et vivace, Hind Meddeb nous raconte son voyage au coeur de l’Egypte profonde. En quête des différentes formes d’art émergeant dans le pays pour le compte de l’émission Tracks, Hind découvre, au détour des rues ensablées du Caire, une effervescence artistique insoupçonnée. Très vite, elle fait la rencontre d’Ibrahim Al Batout, réalisateur égyptien qui y tournait alors son film Ein Shams (The Eye of the Sun) et qui lui fait découvrir un monde parallèle, vivant au rythme de tempos orientaux rugissants superposés à des paroles rebelles.

Parfaitement arabophone, Hind vit alors l’immersion jusqu’au bout, elle explore les quartiers les plus populaires, découvre les « bars à prostituées où les saoudiens s’extasient sur les danseuses en leur jetant des billets » et constate que même les mariages vibrent au rythme d’une musique particulière, fruit du mélange fortuit entre entre le chaâbi (musique populaire arabe), l’électro et le rap.

 Je n’avais aucune barrière dans ma tête, mais les barrières étaient pourtant nombreuses, toutes à l’extérieur.

La jeune femme reste cependant très déterminée. Elle est très vite adoptée par les grands DJ électro chaâbi. Elle échappe en effet à toutes les catégorisations qu’ils connaissent. Mi-arabe, mi-occidentale, femme et insoumise, Hind emporte sa caméra partout au Caire et son approche respectueuse des coutumes locales n’est jamais empreinte de jugement.

En regardant le documentaire, on découvre les paroles des DJ, brutes et percutantes, sans voix off ni questions formulées. Amr Haha, Islam Chipsy, Khaled Mango, Oka & Ortega, Sadat, Fifty : tous les noms des DJ qui composent le mahragan (festival), appellation locale de l’electro châabi, deviennent subitement familiers, une fois le documentaire visionné.

Mazzika chaâbia

Ce qui est également frappant dans le film, c’est qu’il nous fait découvrir que cette musique porte bien son nom. Chaâbi, populaire en arabe, semble parfaitement convenir pour décrire un phénomène qui  vient des couches populaires et exprime leurs déboires. Ses notes énergiques s’invitent dans les mariages, les clubs et les chaumières, devenant ainsi une véritable tendance.

Hind Meddeb, qui a crée le terme de toutes pièces, nous confirme ce sentiment. Selon elle, « cette musique est extraordinaire car elle invite à un mélange des générations, des classes sociales, des traditions et de la modernité« . La liberté qu’apporte cette musique s’insinue là où il y a le plus de codes en les brisant de manière subtile. Son expansion tous azimuts, y compris au sein des classes aisées n’a cependant commencé qu’en avril 2012, lorsque la publicité de l’opérateur téléphonique Mobinil a utilisé de l’electro chaâbi comme fond sonore.

 Un dialogue des genres ?

Une seule barrière semble cependant résister  à ce mélange : la séparation homme/femme. On la voit s’assouplir lors des mariages, elle est abordée dans les chansons et chacune des sphères distinctes ne semble rêver que de l’autre. Mais dans la plupart des scènes du film, on ne voit que des hordes d’hommes qui se déhanchent sans complexe, presque collés les uns aux autres, imitant parfois les balancements féminins et mimant aussi des accrochages.

Une immense énergie se déploie de ces danses improvisées qui, selon Hind, « font partie des traditions égyptiennes« . Elle nous parle, à ce propos, du film Mafrouza, d’Emmanuelle Demoris, qui a été tourné dans un bidonville d’Alexandrie. Selon elle, « il s’agit là des prémices de l’électro chaâbi car les chanteurs de rue y chantent dans les mariages et les hommes dansent d’une manière tout aussi géniale« . Comme les garçons restent beaucoup entre eux, ils vivent la danse comme un défouloir, une manière de s’amuser et d’oublier le poids des traditions et de la séparation des sphères.

Mais si les scènes de danse reflètent cette scission des genres, l’Egypte a une face cachée qu’on effleure dans d’autres passages du film. Lorsque la caméra surprend les DJ lors de conversations téléphoniques avec des filles, on comprend que des scénarios se trament pour se voir en cachette et vivre des histoires d’amour à l’abri des regards… et des caméras. C’est bien ces mécanismes que trahissent les paroles de l’électro-chaâbi, cernant ainsi la complexité des relations entre hommes et femmes, loin des clichés extrêmes de la séparation rigide ou des viols sur l’espace public.

Un message politique

Puisant leur inspiration dans des sources aussi diverses que le reggae ou le rap, les compositeurs d’électro chaâbi s’éloignent cependant volontairement de la pop arabe. Aux lancinants « habibi, habibi » de Nancy Ajram, aux curieux gémissements de Haifae Wahbi, les DJ égyptiens préfèrent des paroles révolutionnaires et provocatrices dont ils  assument toute la teneur politique.

Les chaines qui diffusaient habituellement exclusivement de la pop arabe se sont maintenant réglées à  l’heure de l’électro chaâbi et les sons retentissants de cette musique sont même parvenus en Hollande où le collectif Cairo Liberation Front décide de revisiter le genre musical suite à une virée au Caire. Ainsi, il semblerait que l’électro chaâbi soit  plus qu’une musique. Elle cristallise la naissance d’un pan culturel novateur d’une jeunesse bafouée par le système politique égyptien. « L’échec politique n’est que provisoire, car il faut voir les choses à long terme. Le mur de la peur est tombé, les mentalités ont profondément et définitivement changé et la population a gouté a une liberté d’expression qu’elle n’est pas prête d’abandonner« , analyse la réalisatrice.

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