Diane Mazloum, L’âge D’or : Romancer l’histoire qui bascule

Les éditions Lattès ont publié en septembre dernier le nouveau roman de Diane Mazloum, L’Âge d’or. Il raconte à partir de faits réels une histoire d’amour invraisemblable entre une Miss Univers et un leader palestinien, en pleine guerre du Liban, dans un monde au bord du gouffre. Nous avons rencontré l’auteure. Elle entretient avec Beyrouth une relation de fascination toute particulière, que la lecture de son roman nous fait partager chapitre après chapitre. Retour sur l’histoire d’une désillusion.

Diane Mazloum © Ghazi Ghorayeb

Diane Mazloum est née en 1980 à Paris, et elle a grandi à Rome. C’est sans doute l’exil de ses parents qui a alimenté, très jeune, sa fascination pour son pays d’origine, le Liban. Elle l’a connu très jeune, pour les vacances, alors la guerre civile battait encore son plein. Arrivée de Rome, Beyrouth lui apparaissait alors dans toute son « organicité », chaotique mais extrêmement sensuelle. Insaisissable, aussi. Pour la comprendre un peu, Diane Mazloum tente de la décrire, de l’écrire. Cette quête a donné naissance à un premier récit graphique produit à la fin de ses études de design à l’Université Américaine de Beyrouth en 2009, Nucleus, et à deux romans, Beyrouth, la nuit publié en 2014 chez Stock, et L’Âge d’or,  publié en septembre chez Lattès.

Alors que Beyrouth, la nuit s’intéressait à la jeunesse beyrouthine contemporaine, L’Âge d’or remonte le temps. L’ouvrage s’ouvre en 1967, date emblématique de la grande défaite arabe contre Israël, et s’achève en 1979. Il fait revivre le couple mythique du leader palestinien Ali Hassan Salameh et de Georgina Rizq dite « du Liban » depuis son élection au titre de « Miss Univers » en 1971 – un couple qui, selon Diane Mazloum, « incarne toutes les contradictions de cette époque ».

Le parcours du roman cherche à faire revivre le moment de bascule qui fit du Liban, « perle de l’Orient », un chaos infernal durant plus de quinze ans. Plongée au cœur des considérations politiques qui sous-tendaient le conflit, Diane Mazloum s’est jetée à corps perdu dans l’histoire du pays. Ses recherches ont duré près d’un an. Elle a découvert dans les archives la réalité d’une histoire qui reste à écrire puisque, comme elle nous le rappelle, « dans les livres scolaires au Liban, l’histoire s’arrête en 1943 » ; les vides et les pleins vont être comblés par son imagination et ses talents de romancière.

L’Âge d’or est un livre qui aspire son lecteur dans la folie de la déchéance d’une ville, Beyrouth, et de ses civils, les habitants de Beyrouth-Ouest et ceux de Beyrouth-Est, ceux qui soutiennent la cause des Palestiniens et ceux qui s’inquiètent de leur présence sur le territoire libanais. Capitale d’un pays « trop jeune pour se protéger et faire face à ce qui allait suivre » selon l’auteure, Beyrouth chante dans ces pages son chant du cygne, sans savoir encore si elle renaîtra de ses cendres.

Un petit personnage se révèle, dès les premières pages, particulièrement touchant : Mickey, le jeune frère du premier compagnon de Georgina dans le roman, s’imagine devenir le plus grand spécialiste du Liban. Le pays est si petit, il devrait être possible d’en connaître les moindres recoins… Il ne savait pas alors ce qui attendait l’avenir du pays. L’astuce est audacieuse : à travers les pages du cahier de Mickey s’exposent pour le lecteur les données essentielles à sa bonne compréhension du pays où se situe l’action. Ce personnage, qui d’enfant devient homme, permet aussi de suivre l’histoire complexe de la lutte qui s’installe, durablement, entre deux puis différents camps. Son rôle d’éclaireur permet de prendre la mesure du gâchis provoqué par la guerre, qui pousse chacun au vertige, ne proposant comme horizon que le vide, la destruction.

En grandissant avec cet enfant né dans l’âge d’or et qui appréhende avec naïveté la violente réalité du cynisme géopolitique, le lecteur avance – à tâtons mais avec détermination et curiosité – dans un monde qui perd de son sens et de sa simplicité. Lorsque le vernis craque, l’image peinte sur la toile se fissure irrémédiablement. Seuls les mots de l’auteure et les histoires humaines qu’elle croque souvent avec humour assurent une certaine légèreté à l’ensemble du livre, qui nous transporte sans accroc des espoirs ambitieux d’une bande d’adolescents de la jeunesse dorée inconscients du conflit qui les attend au carnage de leurs vies d’adultes dans la guerre.

Pays en crise, carrefour des tensions géopolitiques régionales, le Liban n’a jamais retrouvé sa prospérité d’avant-guerre. C’est sans doute cette idée d’un empire qui assiste, impuissant, à son effondrement qui fascine Diane Mazloum : elle perçoit le Liban comme un pays culturellement très riche ayant « su prendre le meilleur de ce que l’Orient avait à offrir et garder le meilleur de ce que l’Occident lui a offert », mais qui, incapable de réagir, n’a pas su échapper au chaos et s’est adonné à la plus terrible des guerres, celle qui divise le peuple et attise la haine, et qui empêche jusqu’à aujourd’hui de penser à la simplicité quotidienne des temps passés sans une pointe amère de nostalgie.

 

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