De quoi la culture arabe est-elle le nom ?

Peinture de Ahmed Mustafa.
Peinture de Ahmed Mustafa.

En créant ONORIENT, nous avions pour ambition d’offrir à nos lecteurs une vue globale de la production culturelle dans le monde arabe. Un objectif simple, a priori. Cependant, au fil des semaines, une question se pose à moi, toujours plus pressante : qu’est-ce que la culture arabe ? Existe-t-elle ? Si oui, que recouvre-t-elle ? En d’autres termes, de quoi la culture arabe est-elle le nom ?

Alors, bien sûr, le vocable arabe n’est ici qu’une solution de facilité. Le débat, notamment marocain, nous rappelle que l’arabité n’est qu’une des composantes de notre identité. Il n’est pas tant ici question d’entrer dans un débat académique sur ce qui compose ou pas l’identité arabe, sur ce qui fait que l’on est arabe ou pas, que de tenter, pour moi, de définir ce qui se ressent comme étant l’arabité, et dès lors, de tenter de donner à l’expression culture arabe un sens.

Commençons par là : l’arabité n’existe pas. Dès lors, la culture arabe non plus.

Alors, certes, nous parlons dans les 22 pays du monde arabe une même langue, nous avons conscience d’avoir une histoire commune notamment représentée par l’adhésion à l’Islam depuis le VIIème, et nous revendiquons l’arabité. Soit. Cela fait-il de nous un ensemble géographique structuré par des éléments d’appartenance communs, au-delà de ces trois éléments ? Certes non. La simple diversité communautaire qui caractérise le monde arabe, la présence de communautés non arabes au sein même du monde arabe, la présence de communautés non musulmanes dans le monde arabo-musulman, et la division même au sein de l’Islam (des sunnismes, des chiismes, et d’autres communautés encore) nous interdit de nous imaginer une seule seconde que l’arabité est une transcendance et que le monde arabe est une unité à la fois géographique et identitaire. Sans même parler de l’hétérogénéité linguistique. Certes, rien n’interdit à personne de revendiquer son arabité, c’est même un ferment majeur de solidarité interétatique, mais, à mes yeux, l’arabisme n’est rien de plus qu’une construction politique, nullement une réalité culturelle.

J’enfonce peut-être ici une porte très largement ouverte, mais il n’est pas inutile de le rappeler. Si dès lors, les 2 critères objectifs de l’arabité telle que définie plus haut sont sujet à caution, que dire du 3ème, largement plus subjectif et qui n’est qu’une représentation ?

Au niveau culturel, nous pouvons certes admettre un certain nombre de référentiels communs à tous. Les cultures n’en sont pas moins spécifiques à tous et à chacun. Aucun pays arabe n’a la même histoire, et l’histoire joue forcément sur la culture que construit un pays.
Des processus historiques différents ont abouti à des réalités culturelles différentes. La culture musicale marocaine, par exemple, n’est pas l’algérienne, pas plus qu’elle n’est comparable à la culture musicale libanaise. Les influences extérieures, l’histoire de nos pays, fait que chacun a des centres d’intérêt différent, et cela se ressent à tous les échelons : littérature, cinéma, musique.

Au cinéma par exemple, le cinéma marocain est friand d’histoires se rapportant à l’émigration clandestine eu égard à l’histoire récente du pays et au drame que constitue ce phénomène. Si l’on se rend au Liban, le cinéma aura tendance à aborder d’autres thèmes, liés à son histoire : la guerre civile, la coexistence communautaire, le mouvement étudiant. C’est là que se créé la différenciation culturelle : dans la perception que l’on a de soi et de son histoire. Si, effectivement, l’arabité existait, et que d’elle découlait une culture arabe commune, ce qui touche le Liban touche le Maroc, et vice versa. Je n’ai pas encore vu de cinéaste marocain traiter de la guerre civile libanaise.

Est-ce là à dire qu’il n’existe pas de cultures arabes ?

Non, et c’est là la beauté de notre monde arabe, c’est la diversité et la richesse qui le caractérisent. Les influences et les courants de pensée qui traversent la région, de la Mauritanie à l’Irak, depuis plusieurs siècles, ont contribué à forger des milliers de cultures arabes différentes. Peut-être autant de cultures qu’il y a d’habitants. En faisant de la culture arabe un bloc monolithique et immuable, avec l’arabe littéraire comme langue et l’art des arabesques comme toile de fond, on néglige les milliers d’évolutions qui touchent chaque jour nos pays. Les graffeurs qui décorent nos murs, les chanteurs qui utilisent tant le oud que la guitare électrique et parlent anglais, arabe(s), français.

Je reprendrais pour finir les mots qu’avait prononcé Jean-François Bayart à une conférence à Rabat en 2011 :

L’Islam n’existe pas. Les croyants, reformulent les pratiques et les dogmes religieux et l’immense majorité des croyants pratiquent au quotidien à l’élaboration de la foi, de la pratique religieuse .[1]

Il en va de même pour la culture arabe. Elle n’existe pas en tant que telle : elle n’existe qu’en tant que reformulation permanente et quotidienne, à travers la perception que l’on en a et ce que l’on veut en faire.

Alors, à ONORIENT, il n’est pas question de parler de culture arabe. Nous voulons être le vecteur de la diversité de ce monde arabe telle qu’elle est vécue, et pas d’une construction politique qui nous réduit à un mode de pensée et de production culturelle et scientifique.

 


[1] Conférence tenue à l’EGE Rabat le 10 janvier 2011 intitulée « L’Islam républicain ».

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