A partir d’un fait divers, le réalisateur Abbas Kiarostami propose une œuvre à la frontière du documentaire et de la fiction, une déclaration d’amour à l’art et à l’imaginaire.
Iran, début des années 1990 : Hossain Sabzian, un homme d’origine modeste, se fait passer pour le célèbre réalisateur Mohsen Makhmalbaf auprès d’une famille bourgeoise dont il obtient faveurs et admiration. Démasqué, il est l’objet d’un procès pour escroquerie qui attire l’attention d’un autre célèbre réalisateur iranien, Abbas Kiarostami.
Comme souvent dans le cinéma de Kiarostami, Close Up commence dans un taxi. A bord, un journaliste bavard accompagné de deux gendarmes se prépare pour le scoop de sa vie : l’arrestation de celui qu’il surnomme « le faux Makhmalbaf ». Le plan séquence est fluide, l’effet d’« immédiate évidence » de la scène propre au réalisateur fonctionne parfaitement. Pourtant, en quelques scènes, la narration est dynamitée : on ne verra l’arrestation de l’inculpé que de très loin, le réalisateur s’entretient avec lui en prison sans qu’on voit son visage, enfin le procès commence et la pellicule passe soudainement de la couleur au noir et blanc. Ces ruptures de format ne sont pas les seules à venir surprendre le spectateur : elles s’accompagnent de ruptures temporelles et de transitions constantes entre scènes de procès (supposément réelles), scènes de l’« escroquerie » (rejouées par les vrais protagonistes du fait divers) et scènes de l’arrestation de Sabzian, montrée selon différents points de vue : l’inventivité formelle de Kiarostami est fascinante.
Quelle est vraiment la part de fiction, la part de reconstitution et la part de documentaire s’interroge-t-on sans cesse devant les images de Close Up. Comme dans son film Copie conforme (2010), réalisé après Close-Up, qui date de 1991, Kiarostami questionne constamment la frontière entre l’art et la vérité, entre l’art et la vie. Si Copie conforme est plutôt une méditation sur les illusion de l’amour, Close Up est surtout une plaidoirie pour replacer l’art au centre de la vie.
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Dans ce film, la caméra de Kiarostami est tout entière vouée à rendre palpable l’humanité de son personnage principal, cet amoureux fou du cinéma, qui cite lors de son procès aussi bien le Coran que Tolstoi. A travers la longue et solitaire plaidoirie du protagoniste filmée en gros-plan (close-up), se dessine l’image d’un pays où règnent misère sociale et humiliations perpétuelles subies par les plus pauvres, pour qui la seule lumière semble être – pour Sabzian comme pour Kiarostami – le cinéma.
Les répliques du procès sont à ce point de vue évocatrices : « Les films de Makhmalbaf montrent mes angoisses (…) et que les riches ignorent les besoins des pauvres » explique Sabzian. Braqués sur son visage, les gros plans de Kiarostami scrutent l’âme d’un homme qui ment, à la fois pour jouir d’un respect et d’une admiration dont il n’a jamais fait l’objet, mais aussi de ses propres dires pour le plaisir de jouer un rôle, de voir le fictif se moquer du réel, de se créer un personnage et une nouvelle existence plus excitante.
En ce sens, le procès de Hossain Sabzian est aussi celui de l’imagination contre le réel. Dans Close Up, c’est le geste artistique qui gagne.