Le cinéma égyptien, à la recherche de la gloire perdue

Impatients de musarder à l’Opéra du Caire pour prendre le pouls de l’ambiance du Festival international du Caire, on arrivait des heures avant les projections. Les deux films égyptiens qui étaient en compétition attirent notre attention, mais après une longue attente, aucun espoir d’accéder aux salles. Des voix se lèvent pour protester, critiquer l’organisation ou se plaindre aux voisins de la file. Je me rabats sur un film hybride, mêlant fiction et documentaire pour retracer une période de grossesse qui met à l’épreuve l’amour d’un couple de comédiens. Retrouvant mon petit Paris des balcons à l’image, je sors réjouie de la projection d’Olmo and The Seagull de la brésilienne Petra Costa et la danoise Lea Glob.

Le vacillement de la vie d’artiste, toujours secoué par des expériences astreignantes du quotidien qu’il doit affronter avec impassibilité pour répondre à l’exigence de son rôle, me renvoie vers les histoires de vie pleines d’intrigues de toutes ces divas arabes qui ont marqué l‘âge d’or du cinéma égyptien.

Il était une fois en Egypte

[one_half] La succession d’amours déchus de la « danseuse nationale d’Egypte » Samia Gamal, le décès énigmatique de la reine de la mélancolie théâtrale Asmahan ou encore plus tard, le suicide non-élucidé de la charmante Soad Hosni sont tous des évènements qui rajoutent au mystère de ces fabuleuses icônes. Véritable « Cendrillon » arabe, la vie trépidante et les nombreux rôles absorbants de Soad Hosni , l’ont entraîné dans un tourbillon vicieux.
Elle qui a dédié sa vie au 7ème art a fini par sombrer dans une dépression chronique.
[/one_half] [one_half_last] Ainsi, « Les trois disparitions de Soad Hosni », un film de Rania Stephan, peint en images et en sons le tumulte de la vie de cette vedette qui a pu représenter une image de la modernité sous la période Nassériste. Rendant hommage à la carrière d’une actrice qui compte plus de cent films à son actif, Rania revient sur les lésions oblitérantes de la vie de la femme et la carrière de l’artiste Soad.
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Un travail expérimental en hommage à celle qui a longtemps dorloté l’écran des pays arabes et une réflexion qui se dévoile en filigrane sur le support vidéo :

Les Trois Disparitions de Soad Hosni (Bande Annonce/Trailer)

Les Trois Disparitions de Soad Hosni/The Three Disappearances of Soad HosniRania Stephan (Réalisatrice/Director)Actrice mythique du cinéma populaire égyptien, Soad Hosni a illuminé de sa présence près de cent films avant de s’enlever la vie à Londres en 2001. À travers les archives de son œuvre, Rania Stephan cherche à faire revivre le parcours de cette icône trop tôt disparue. Malgré les apparences, ce n’est pas tant une biographie filmée qu’un hommage poétique qui nous est présenté. L’actrice n’apparaît qu’à travers ses rôles, et la cinéaste agence des centaines de plans pour dresser le portrait d’une figure emblématique de l’écran et de l’évolution de toute une industrie. À travers Soad, c’est en effet l’histoire récente des femmes égyptiennes et de leur pays qui nous est dévoilée.A rapturous elegy to a rich and versatile era of film production in Egypt, constructed from the work of one of its most revered stars, Soad Hosni, who from the 1960s into the 1990s embodied the modern Arab woman in all her complexity and paradoxes. Stephan’s montage of footage from VHS tapes, DVDs, and VCDs poetically rewrites a golden period of Egyptian cinema and evokes an enduring symbol of modern Arab womanhood.

Posted by Cinéma Libanais/Lebanese Cinema on Thursday, January 12, 2012

[one_half] Cette année, à la 37ème édition du Festival du Caire, c’est le portrait de feu Faten Hamama qui orne l’affiche du festival. D’ailleurs, une partie de la programmation honore la mémoire de trois grandes vedettes du cinéma égyptien disparus en 2015. Outre la délicieuse Faten, son ex-mari, l’acteur international Omar Sharif et l’inégalable Nour Charif ont aussi rejoint, cette année, le panthéon illustre de grands marqueurs du 7ème art égyptien.
[/one_half] [one_half_last] Des figures qui s’éteignent tour à tour et qui interrogent le devenir du cinéma en Egypte. En observant la loupe la suite du programme, on remarque deux films égyptiens en compétition officielle du festival. « The Grand Night » de Sameh Abdel Aziz et « Born to Man » de Kareem El Sobki sont deux productions de la fameuse maison El Sobky. Leader du marché de la production cinématographique égyptienne, cette entreprise familiale est hautement polémique.
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Ahmed Sobky, propriétaire d’un vidéoclub dans les années 80, est motivé par son frère, Mohamed, pour lancer une société de production. Ensemble, ils multiplieront les réalisations et sortiront des films qui combleront les salles obscures.

Dans une entrevue récente sur la chaine ONtv (émission :السادة المحترمون), les deux magnats de la production déclarent « faire des films qui plaisent au public ». De grands succès, somme toute, populaires qui ont attisé les critiques d’un public soucieux da la qualité de l’image et de sa portée instructive. Nombreuses ont été les campagnes qui ont battu en brèche les films El Sobky en appelant à leur boycott. Jugés immoraux, plusieurs s’accordent à taxer ces productions de vulgaires et manquantes de créativité.

Autant emporte la production

Toutefois, El Sobky semble avoir trouvé les bonnes variables de l’équation commerciale ; de la danse du ventre, de la violence et de la musique chaâbi pour attiser la foule. Pour les périodes de fêtes (العيد), la maison propose souvent de la comédie. Une vieille recette appréciée par les familles à ce moment de l’année où elles fréquentent en masse les salles de cinéma. Le retour sur investissement est plus que satisfaisant puisque les deux frères ont longtemps misé sur des films à bas coûts et propulsé au grand écran de nouveaux acteurs à la recherche d’une popularité. Mais, maintenant que la famille El Sobky s’élargit, le portefeuille de films variés se densifie. Aux coulisses du festival, l’on peut entendre beaucoup de messages optimistes sur de nouveaux choix de production prometteurs et des contrats avec des réalisateurs de talent. Un revirement plus que bienvenue à l’heure où la jeunesse égyptienne regorge d’idées et montre une grande ingéniosité pour produire des projets convaincants.

En effet, si la période de la révolution a gelé plusieurs fonds et réduit les possibilités de production, plusieurs jeunes se sont montrés inventifs en se constituant en réseau et cherchant des moyens de financement alternatifs. Dans un secteur où la structure étatique déserte le terrain, des entreprises de télécommunication (Vodaphone, Mobinil…) sponsorisent certains projets confirmés. Des fonds et festivals dans la région (fonds AFAC, fonds Injaz –Dubai, festival d’Abu Dhabi…) amènent des aides sporadiques et enfin, la ville du Caire vient, et à de très rares et exceptionnelles occasions, subventionner quelques réalisations.

Jeune réalisateur, cavalier solitaire

Ainsi, une jeune scène informelle a pu voir le jour mettant essentiellement en avant des projets de fictions et de documentaires. Le format du court-métrage n’est pas en reste, des productions innovantes se font remarquées dans des festivals à l’international comme le prouve le film à très petit budget, mais à visibilité importante « The Aftermath of the inauguration of the Public Toilet at Kilometer 375″ du jeune cinéaste Omar El Zohary.

Ce ressortissant du High Cinema Institute du Caire relève à travers une situation absurde, le sentiment éternel de la peur. Adapté d’un roman, l’histoire concerne le traumatisme d’un homme qui espère obtenir le pardon après avoir éternué lors du discours d’un officiel.

Des projets politiques, mais aussi sociaux comme c’est le cas du nouveau documentaire « The day I ate the fish » de Aida El Kashef. Le projet dont la campagne de financement participatif vient de prendre fin va à la rencontre d’une série de femmes ayant tués leurs époux :

[tg_button href= »https://www.indiegogo.com/projects/the-day-i-ate-the-fish-directed-by-aida-el-kashef#/ » color= »orange » bg_color= » » text_color= » »]Campagne crowdfunding [/tg_button]

Aida fait partie de cette nouvelle jeunesse militante dont les expériences filmographiques précédentes montrent un sens de l’engagement. Outre le court-métrage « A Tin Tale » sur la vie d’une prostitué égyptienne qu’elle a réalisé, Aida a pu co-fonder Mosireen en 2011 pour documenter les péripéties de la révolution et constituer des archives photos et vidéos de la période. Un travail de titan qui a pu aider beaucoup de journalistes et de réalisateurs dans leurs recherches.

D’autres jeunes talents, prêtent une attention particulière aux détails esthétiques. Haya Khairat, étudiante au même établissement que Omar, a pu à tout juste 21 ans assister à la caméra de grands projets audiovisuels. Décidée à se frayer un chemin dans le cinéma indépendant, elle enchaine, non sans aucune gêne, les contributions aux séries ramadanesques et clips promotionnels pour se faire sa main en parallèle de ses projets photos personnels :

[tg_button href= »http://www.behance.net/gallery/29893273/VIVID-DREAMS » color= »orange » bg_color= » » text_color= » »]Gallerie Haya Khairat – Behance[/tg_button]

Etudiante en direction de la photographie, elle est la seule fille dans une promotion de 10 étudiants. La haute sélectivité de l’école et le machisme régnant dans le milieu seraient, d’après elle, les raisons qui expliquent ces chiffres.

Ces jeunes ont ainsi appris à composer avec les différentes formes de censure auxquels ils se frottent. D’abord institutionnelles, interdisant dès l’écriture du scénario, le développement de projets anti-militaire ou anti-gouvernementaux et ensuite sociales. Une situation qui a permis à des formes expérimentales et subtiles de création de voir le jour et à un cinéma d’auteur à se confirmer parallèlement au modèle de divertissement prédominant jusqu’ici.

Retour vers les salles

[one_half] Jusqu’à 2011, 80% de films projetés en salle étaient des films égyptiens. L’ouverture à un cinéma plus diversifié et international s’est faite grâce aux efforts de petites salles d’art et d’essai qui permettent aujourd’hui à un public curieux de nouveauté et friand d’apprentissages d’aiguiser son œil et renforcer son regard critique.

La cimathèque, centre alternatif dédié au cinéma est devenue la nouvelle Mecque des cinéphiles. Situé au centre du Caire, cet espace est né de la volonté de ses créateurs de trouver des solutions pour produire leurs travaux, puis a fini par ouvrir ses portes au public en juin dernier. Projections, ateliers et rencontres sont à l’ordre du jour de la programmation du centre qui place aussi la numérisation des œuvres et leur archivage au centre de ses préoccupations.[/one_half] [one_half_last]Mais la cimathèque a une sœur ainée toute aussi engagée dans la préservation de la traditionnelle expérience cinématographique égyptienne. La salle indépendante Zawya, s’est quand a elle installée au cinéma Odéon et y opère dans trois de ses salles depuis Mars 2014. Proposant une programmation mixte entre productions arabes et internationales, Zawya organise tout au long de l’année des évènements spéciaux et des rétrospectives.
Le 8ème panorama du film européen vient de prendre fin à Zawya qui accueille annuellement à cette occasion, une série de projections. Fondé par Marianne Khoury en 2009, ce festival présente au public égyptien plus de 60 courts et longs métrages de fiction et documentaires provenant du vieux continent. Cette année le focus -spécial cinéma balkanique- a permis au public de découvrir des œuvres récentes telles que de The High Sun de Dalibor Matanic ou encore Enclave de Goran Radovanovic.[/one_half_last]

Outre l’exploitation des films et la distribution de films internationaux,Zawya veille à assurer le sous-titrage en arabe des films qu’elle propose pour garantir leur accessibilité. Youssef Shazli, directeur des lieux, nous accueille dans ce petit espace, niché dans l’arrière de l’Odéon et auquel son équipe et lui-même ont veillé à donner une empreinte bigarrée particulière. Sous le logo bleu et rouge de son cinéma, il nous confie accorder beaucoup d’importance aux programmes d’éducation à l’image. Ainsi, à la suite de plusieurs séances mises en place à la demande de quelques écoles, le cinéma a l’intention de travailler sur de nouveaux dossiers pédagogiques. Youssef est à l’image de sa structure et de son équipe; jeune et dynamique. Il ne manque pas d’ambitions pour Zawya qu’il voudrait voir croitre en externe pour le développement d’un plus grand public. Un chantier qu’il a d’ores et déjà entamé grâce à l’aide de partenaires financiers qui ont permis l’ouverture de Zawya à Alexandrie et qui prolongeront l’aventure dans d’autres villes telle que Tanta ou Minya. La mise en circulation d’une caravane mobile pourrait aussi être une solution pour faire parvenir les images en mouvements à d’autres audiences.

Archives filmiques, le sacré graal

Structure indépendante, Zawya est au départ une idée de la société de production MIF (Misr International Film), dépositaire d’un sacré legs cinématographique. L’équipe de Zawya occupe d’ailleurs des bureaux, à quelques mètres de leur salle, au sein de cette entreprise, située à une seconde bifurcation de la place Talaat Harb. La MIF, maison de production fondée par le légendaire Youssef Chahine, est aujourd’hui gérée par sa nièce et ancienne assistante Marianne Khoury, qui n’est autre que la mère de Youssef. Si ces liens de famille prouvent quelque chose, ce n’est alors que l’amour inconditionnel que porte chacun de ses membres au 7ème art et sa volonté de le propager à plus grande échelle. Malgré les petits effectifs des deux boîtes, les projets se succèdent et de nouvelles co-productions sont en cours. Et comme le veut la tradition de la maison MIF, une grande partie des projets retenus sont des documentaires qui bouclent leur plan de financement grâce aux accords de production internationaux. Actuellement, l’équipe a opté pour la production de deux longs dont un projet de premier film et une comédie musicale. Des choix authentiques qui vont dans le sens de l’engagement de la société pour soutenir la production de films de qualité et propulser des artistes émergents.

Julie Astoul, a rejoint MIF récemment pour assister Marianne dans les travaux de préparation à la restauration et d’archivage de perles précieuses de l’histoire du cinéma Egyptien dont la société est propriétaire. En effet, des films tels que Papa Amine, Gare centrale, L’immigré et bien d’autres chefs-d’œuvre du cinéaste Youssef Chahine seront bientôt en restauration, nous confirme-t-elle. Un patrimoine cinématographique et un héritage culturel qui pourra bientôt être visualisé à nouveau, une fois que la fine équipe aura trouvé les partenaires nécessaires.

Aussi, une partie de la collection de films de MIF est mise en ligne sur Youtube pour le grand plaisir de tous :

Capture de la gallerie vidéo : Misr International Films sur Youtube

Capture de la galerie vidéo : Misr International Films sur Youtube

[tg_button href= »https://www.youtube.com/user/misrintfilms/videos » color= »red » bg_color= » » text_color= » »]Misr International Films – Youtube[/tg_button] 

Aujourd’hui une nouvelle génération prend la relève et des talents* prometteurs se révèlent dans le milieu passionnant du Cinéma égyptien. Voici donc quelques noms* à retenir et à suivre de près :

– Hala Lotfi
– Amr Salama
– Ahmed Abdallah
– Mohamed Diab
– Mohamed Hamed

*Cette petite selection subjective, a néanmoins été constituée grâce aux appréciations des différentes personnes rencontrées.