ATLAL : Quand l’Algérie se tient face aux ruines et fait ressurgir sa mémoire

Photo affiche ATLAL - Djamel Kerkar

« Se tenir face aux ruines pour faire surgir sa mémoire », c’est le sous-titre poétique choisi pour présenter ce superbe documentaire. Avec une grâce tranquille, Djamel KERKAR offre un regard intelligent et sensible, sur des terres et des êtres, maltraités. Il nous raconte un passé algérien douloureux, face à un avenir incertain, en construction.

Atlal est le premier long métrage de Djamel Kerkar, il sort mercredi 7 mars en France.

Rencontre dans un café parisien.

Affiche ATLAL de Djamel KERKAR

Que souhaitiez-vous  faire ressurgir en laissant les spectateurs se tenir face aux ruines ?

Le film commence sur cette idée. J’avais au départ un désir de cinéma autour d’une région qui a été livrée à l’islamisme radical pendant les années 90 et qui en porte encore les traces. Le film devait se tourner autour de ça. Et puis en faisant les repérages je suis tombé sur ce petit village, Ouled Allal, qui comportait tout ce que je voulais filmer, et sur un périmètre maitrisable à échelle humaine, je pouvais tourner tout seul ; cela avait inscrit le film dans un contexte qui allait marquer la forme du film.

Le point de départ c’est de dire qu’à travers cet espace segmenté en deux parties : une partie dans laquelle on a encore les traces de ce qu’il s’est passé pendant les années 90 et une deuxième partie qui est toujours en reconstruction, donc marquée par une pulsion de vie très forte. Cette dualité m’a tout de suite intéressé.

L’idée d’absence est incarnée par ce mot là, Atlal, qui littéralement traduit en français donne ruines au pluriel et qui a une charge historique et culturelle dans la poésie arabe, qui voudrait dire se tenir face aux ruines pour faire ressurgir sa mémoire à travers ce qui reste.

Le film a été marqué par cette première idée, qui moi m’avait fortement touché : dire qu’une ruine n’est pas seulement un amas de pierre

Au départ le film n’était pas écrit, il est parti d’une intuition et il s’est écrit au fur et à mesure en fonction de ce qu’il y avait sur les lieux. C’est à dire que je ne viens pas placarder des idées reçues ou des envies ou des fantasmes ou des choses de cet ordre là. Si on va voir un producteur et on dit « j’ai envie de filmer un amas de pierres qui reste par rapport aux années 90 », il va répondre mais c’est quoi le sujet ? Mais justement l’enjeu cinématographique, c’est à dire le désir filmique, et l’essence de ce film, part de ce point de vue là. De dire qu’un espace déserté est aussi habité par des choses et que l’image et le son associés pourraient faire ressurgir ça.

Ruines d’Ouled Allal – ATLAL

Vous nous expliquez que le film n’était pas écrit en avance, y a-t-il eu des choses qui vous ont surpris au cours de sa construction ?

Oui. Une des premières choses qui m’a beaucoup marqué en arrivant sur les lieux c’est cette dualité entre présence et absence et la pulsion de vie qu’on pouvait ressentir sur les lieux. L’espace où il y a les ruines, où il a encore des ruines d’ailleurs, parce qu’elles disparaissent jour après jour, les gens reviennent pour reconstruire. Il y avait une charge émotionnelle que je ressentais à cet endroit. Il y avait une ruine et en grimpant dessus, on pouvait voir des hommes, vieux ou moins vieux, qui reconstruisaient leurs maisons tout seul avec acharnement, sous un soleil de plomb, et toute la première partie du film est marqué par cette pulsion de vie et par ce paysage dramatique.

Vous avez laissé beaucoup de silence, surtout dans la première partie du film. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

Je ne pourrais pas le rationaliser ou le conceptualiser comme une démarche artistique mais ça a toujours habité mon travail. Mes courts métrages étaient également dans cette démarche là. Je reviens à l’idée de désir filmique. Pour moi le silence peut être aussi un langage. L’enjeu pour un réalisateur ou créateur c’est de formaliser ce langage pour qu’il devienne parole ou sensation ou sens.

Pour ce film, il y a une articulation qui s’est opérée au fur et à mesure. Comme je le disais, j’avais un corpus d’idées mais le film n’était pas écrit, donc toute cette première partie elle dit aussi que je cherche, moi, ma place dans ce territoire et au fur et à mesure il y a quelque chose qui s’articule.

J’ai toujours un problème quand je vois des films documentaires hyper élaborés, très écrits, le personnage arrive, dès la première minute on dépose une sorte d’arc dramatique.

J’ai trouvé que c’était beaucoup plus intéressant de chercher, de dire que voilà, la recherche est aussi une forme d’écriture et qu’on pourrait l’inclure dans une écriture filmique. Et en fait, un film a commencé à s’écrire non pas sur des gens mais avec des gens.

Je ne connaissais personne sur ce lieu mais au fur et à mesure je partage des choses avec ces gens et il y a une affinité qui se crée et s’installe sur le temps. Et je pense que si on ressent à un certain moment une forte émotion, c’est parce qu’il y a eu ce temps d’adaptation, on a laissé le temps de voir, de sentir, d’écouter.

Le silence qui est au départ, permet une installation à la parole qui est beaucoup plus intense.

Ruines d’Ouled Allal – ATLAL

Il y a un grand absent dans ce film, ce sont les femmes, quelles raisons à cela ?

Eh bien, c’est un fait social. Et pour l’instant personne ne l’a réparé ; et un film ne pourrait pas le réparer. Comme mon désir était autour d’un territoire extérieur, qui est essentiellement habité, occupé par des hommes, le film s’est articulé autour de ces histoires d’hommes. Mais comme je le disais, là aussi justement il y a une dualité présence / absence et l’absence des femmes devient une présence, ce silence devient une parole.

Donc oui, il y a une absence qui dit des choses sur un fait social et en même temps il y a ces hommes qui occupent cet espace de manière segmentée, arbitrairement, parlent tout le temps des femmes. Les femmes habitent leurs imaginaires, pensées, désirs, sensations, frustrations aussi. Et d’ailleurs les hommes un peu plus vieux ont un rapport à la terre qui est quasiment charnel, une sorte d’image de terre mère.

Finalement, je ne suis pas sur que tout ce qu’on ne voit pas n’existe pas.

A un moment, il y a l’apparition d’un véritable personnage. Ce n’est pas une fiction mais on peut dire qu’Abdou incarne vraiment un personnage. Comment l’avez-vous rencontré et filmé ?

Adbou oui clairement c’est un personnage charnière en fait. C’est très juste de dire personnage.

Quand je l’ai rencontré, c’était à la moitié du tournage et je filmais beaucoup très tôt le matin, avec des gens qui travaillaient sur les chantiers ou sur la terre. Avec Abdou j’ai glissé du jour à la nuit.

A ce moment là, je me suis vraiment rendu compte que je faisais un film sur une géographie, avec des strates et des glissements. Et je glisse du silence à la parole, du jour à la nuit, de l’absence à la présence. Et Abdou oui c’est très juste de dire que c’est un personnage parce qu’il se saisit de la caméra comme un acteur se saisit d’un film, d’un scénario. Dès la première rencontre je savais que j’allais filmer avec lui, que c’était impératif et lui était partant pour ça. Filmer c’est aussi un flux entre le « filmeur » et le filmé et il était très conscient de cet enjeu là.

Toutes les autres personnes que j’avais filmé avant étaient vraiment ancrés avec gravité dans le réel, et Abdou c’était le moyen de décoller dans le film. Et il a apporté ça. Il y a énormément de choses qui viennent de lui.

Abdou dans ATLAL

Ce n’est pas un film classique, c’est même audacieux, qu’auriez-vous envie de dire à des futurs spectateurs ?

C’est une question très difficile. J’ai fait le film que je voulais faire, et pour le partager avec des gens, peu importe où ils sont.

Mon désir est de faire du cinéma et le cinéma n’a pas de territoire, de frontières géographiques. Donc j’espère que ce film pourra créer des choses chez un public, peu importe d’où il vient et quelle est son histoire.

Le cinéma n’a pas de territoire, bien sûr. Mais il y a parfois des territoires qui ont des liens et des histoires plus proches, et pas seulement un rapport universel. C’est le cas de l’Algérie et de la France. Cela a peut être des résonances différentes qu’il sorte ici ?

Oui justement. Je pense, en revoyant mon film et en voyant ce qui sort ici en France, le film ne correspond pas à ce qu’on s’attend de voir d’un film Algérien.

Qu’attend-on d’un film algérien ?

Je sais pas… il y a eu quand même une grande domination pendant un moment du rapport hommes machos femmes battues…

Le film essaye juste de raconter l’histoire d’un territoire. Ce territoire est occupé par des êtres et il y a des arbres et il y a des ruines, des nouvelles constructions et tout ça fait un film.

 

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