ar-Rissālah (الرسالة) ❄ péplum de Noël

La neige s’est installée dans certaines régions, le mois de décembre vient de débuter et les préparatifs des fêtes de fin d’année s’agencent tranquillement. Mais le dernier mois de l’année est aussi connu pour son programme filmique qui va du plus kitsch au plus agaçant.

Nous avons décidé de ne pas faire défaut à la tradition en vous proposant un péplum de Noël moins connu que ses comparses. Mettez de côté votre VHS ancestral d’Autant en Emporte le Vent (1939), remisez le Blu-Ray de la version remastérisée des Dix Commandements (1956) et allez vous procurer le coffret d’ar-Rissālah (1976) de Moustapha Akkad.

Élu péplum de Noël 2017

Le film du syro-américain Moustapha Akkad (1930-2005), plus connu pour avoir produit la série de films Halloween, est sorti dans les salles une année après sa réalisation en 1977. Il fait aujourd’hui partie de ces grands classiques du cinéma hollywoodien. Il fête cette année ses quarante printemps et nous tenions à lui consacrer quelques mots pour comprendre comment il est devenu la grande fresque cinématographique de l’Islam.

ar-Rissālah, Moustapha Akkad, 1976

22 années résumées en 3 heures

ar-Rissālah raconte l’histoire des débuts de l’Islam. Le film commence en 610 avant l’hégire dans une Mecque polythéiste où le prophète vit avec sa femme Khadija. À ce moment, il a une quarantaine d’années et il est connu des villageois pour ses retraites spirituelles en dehors de la ville, dans la grotte de la montagne Hira. C’est là-bas qu’il obtiendra sa première révélation par l’intermédiaire de l’Ange Gabriel (جبرائيل) – un passage que l’on retrouve dans les versets 1-5 de la sourate de l’Adhérence :

1. Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé,
2. qui a créé l’homme d’une adhérence.
3. Lis ! Ton Seigneur est le Très Noble,
4. qui a enseigné par la plume [le calame],
5. a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas.

Versets 1-5, sourate 96, al-Alaq (L’Adhérence), 19 verets, Pré-hég. n°1

Ne sachant ni lire ni écrire, le prophète se fera donc communiquer ce premier message divin oralement car il est celui qui a été choisi par l’ « Unique Dieu » et celui qui doit propager sa voix. C’est à partir de ce moment que nous allons suivre les aventures du prophète et de ses compagnons en Arabie.

Sa mission prophétique va être mise à mal par les élites marchandes de la Mecque qui voient en l’islam un frein à leurs activités commerciales. En effet, la Mecque abrite la Kaaba (الكعبة), qui durant la période ante-islamique, était aussi un lieu de culte où l’on adorait des idoles avec des rites précis que l’islam adaptera dans sa tradition au fil de sa constitution (Émile Dermenghem). Le film va aussi se tourner vers la période de l’Hégire (هِجْرَة), caractérisée par l’immigration du prophète et de ses disciples vers la ville de Médine à partir de 622 où fut érigée la première mosquée. Le film s’achève lorsque le prophète Muhammad décède en 632.

ar-Rissālah, Moustapha Akkad, 1976

Un respect de l’aniconisme propre à la tradition islamique…

Jamais le prophète, ni son compagnon Ali, ne seront représentés dans le film de Moustapha Akkad. C’est par le biais de la technique cinématographique de la caméra subjective que le réalisateur va mettre en scène les personnages centraux de son histoire sans les entendre et encore moins les voir. Pour déjouer les lois de la représentation, la caméra nous invite chaque fois à adopter le regard du protagoniste que nous reconnaîtrons en fonction du jeu des acteurs et des paroles échangées. Cette technique est employée lorsque la caméra se met à la place du prophète sur sa chamelle avec son bâton ou quand nous apercevons l’épée à deux lames d’Ali s’apprêtant à combattre. Au-delà du fait que cette épée et ce bâton aient été tenus par la grande magie du cinéma, les personnages remplacés par cette technique n’ont pas été crédités sur les génériques de fin. Plus communément adopté dans le répertoire des films d’horreur, comme dans [REC] par exemple, ce procédé donne dans ar-Rissālah un rendu particulier. En ne pouvant pas représenter le prophète Muhammad, placé sous caméra subjective, nous avons par conséquent l’impression de l’incarner dans certaines scènes.

Dans les coulisses du tournage de ar-Rissālah, Jack Hildyard le directeur de la photographie nous explique le principe de la caméra subjective :

Nous avons mis au point une technique : c’est la caméra qui incarne le prophète. Les acteurs s’adressant au prophète regardent directement la caméra. Il fallait parfois que le prophète se déplace, qu’il se lève ou qu’il s’assoie. Nous nous sommes servis de la caméra comme d’un autre acteur. C’est par la caméra que le public perçoit ce que Muhammad a pu vivre. De la lapidation et la persécution qui l’ont fait fuir sa ville, à son retour triomphal à la tête d’une marche pacifique constituée de milliers de fidèles qui l’avaient rejoint.

Les coulisses du tournage de la scène lors du retour triomphal du prophète à la Mecque tournée en caméra subjective dans ar-Rissālah, Moustapha Akkad, 1976

…mais qui n’a jamais été évoqué dans le Coran

Il faut rappeler que le Coran ne stipule en aucun cas que les représentations figuratives, humaines et divines sont interdites. L’aniconisme islamique a été codifié plus tard dans la tradition religieuse par les hadiths (حديث) qui seraient le recensement des paroles rapportées du prophète dans des recueils canoniques dont les premiers dateraient du IXème. Ces recueils sont le fruit d’une science pour construire une tradition de l’islam élaborée bien après la mort du prophète Muhammad. Malheureusement, si l’on atteste une tradition de l’image en terres d’Islam remontant au VIIIème siècle, une idéologie où les images seraient absentes est encore ancrée aujourd’hui (Silvia Naef). Heureusement, le discours autour des représentations vivantes a évolué et le film a ainsi pu obtenir l’autorisation de grandes instances religieuses de al-Azzhar et du haut conseil islamique chiite du Liban.

« Après accord du corps responsable d’al-Azhar et du haut conseil islamique chiite du Liban, ce film a pu être tourné » ar-Rissālah, Moustapha Akkad, 1976

Un message pour deux versions

La démarche de Mustapha Akkad fut de réaliser ar-Rissālah en deux versions : une interprétée en arabe avec un casting d’acteurs de ces espaces géo-culturels (lire « Le Message : que sont devenus les acteurs mythique sur la naissance de l’islam ? » de Hanan Ben Rhouma) et une autre intitulée The Message en anglais avec des acteurs hollywoodiens notamment Anthony Quinn dans le rôle de Hamza ou Irène Papas interprétant Hind. Le réalisateur déclare :

J’ai fait ce film car il représente un enjeu personnel. En outre, sa production est intéressante, il y a une histoire, une intrigue, une force dramatique. En tant que musulman vivant en Occident, je considère que c’est mon devoir de dire la vérité sur l’islam. C’est une religion qui comporte 700 millions de fidèles, et pourtant, on n’en sait si peu à son propos que c’en est surprenant. J’ai pensé que raconter cette histoire pouvait créer un pont avec l’Occident*.

Outre l’audace de faire un film grand public sur les fondements de cette religion, Moustapha Akkad a rencontré des problèmes lors de sa production. Les studios de Hollywood étaient frileux à l’idée de financer un tel film et il lui a fallu se tourner vers des producteurs marocains, libanais, libyens et koweïtiens. Le film a malheureusement essuyé diverses critiques autant en Occident que dans les États musulmans. D’une part concernant son vaste sujet, peu étudié des non-musulmans et raconté en quelques heures. D’autre part, même si le film a été approuvé par de grands théologiens, le public musulman n’apprécia pas la représentation des compagnons du prophète Muhammad et fut interdit en Arabie Saoudite et dénigré des chaînes télévisées arabes en général.

ar-Rissālah de Fayçal Baghriche en 2010

Fayçal Baghriche, Le Message, 2010, Video, 185′, extraits du film The Message de Mustapha Akaad, 1976 © Fayçal Baghriche

En 2010, Fayçal Baghriche, artiste né à Skikda en Algérie en 1972 et vivant à Paris, s’intéressa à ces deux versions. Il en a fait une installation intitulée Le Message (2010, vidéo, son, 185’, Collection Frac Poitou-Charentes, Angoulème) qu’il présenta au MAC VAL lors de l’exposition « Tous, des sang-mêlés » (exposition collective – du 22 avril au 3 septembre 2017). À l’intérieur de cette petite salle de cinéma était diffusé une étrange version d’ar-Rissalah. On pouvait lire sur la plaquette de médiation :

L’œuvre éponyme de Faycal Baghriche repose sur le montage des deux versions existantes du péplum sur l’histoire de l’Islam. Le Message (l’une en arabe, la seconde en anglais), réalisées par Mustapha Akkad dans les années 70. Ces deux versions ont été filmées conformément à l’aniconisme de la tradition musulmane : le prophète n’est jamais représenté et est incarné par la caméra subjective. Si le scénario et les décors sont strictement identiques, le casting et la langue diffèrent totalement. Selon le réalisateur, il est très compliqué de doubler l’arabe en anglais et inversement, particulièrement à cause du mouvement des lèvres. Aussi, la version arabe est plus longue car le style de jeu arabe est plus dramatique, plus poétique, plus en longueur. Tandis que Mustapha Akkad, lui-même issu d’une double culture, voulait réaliser un film qui soit un « pont » entre les civilisations musulmane et occidentale, Faycal Baghriche pointe la catégorisation des produits culturels en fonction de leur destination.

Dans son projet, l’artiste explique :

Cette vidéo repose sur le montage de deux versions du péplum “Le Message” réalisé par Mustapha Akkad dans les années soixante-dix sur l’histoire de l’Islam. Ces deux versions ont été filmées selon le même scénario, dans les mêmes décors et avec les mêmes costumes ; seuls les acteurs et le langage diffèrent. L’une réunit un casting de stars du cinéma arabe, l’autre des acteurs hollywoodiens. En synthétisant ces deux films dans un montage qui suit précisément le déroulement du scénario, je fais dialoguer les acteurs arabes et américains dans leurs langues respectives. Dans sa référence à l’universalisme du cinéma et du langage, cette vidéo pointe la catégorisation des produits culturels en fonction de leur destination.

Une épopée à voir et à revoir

Au-delà des critiques que nous pourrions faire autour d’un film grand public des années 70, nous tenions à parler de ce péplum historico-religieux trop peu diffusé sur les écrans. En France, la version américaine avait été diffusé sur Antenne 2 pour accompagner l’émission Les Dossiers de l’écran lors d’un numéro consacré à l’islam en 1979. Récemment, la chaîne Arte a rendu hommage à la version américaine le 24 juillet 2017 pour célébrer ses quarante ans.

Si vous l’avez raté et si vous ne connaissez pas encore la version arabe, courez vite vous procurer ce(s) film(s) car il a bénéficié d’une belle réédition en DVD en 2012 et en Blu-ray en 2014. Pour les moins fortunés, voici la version arabe avec des sous-titres en français.

Et si ar-Rissālah est le film que vous avez trop vu, vous pouvez toujours essayer de trouver ʾasad aṣ-ṣaharaʾ – أسد الصحراءLion of the Desert (1981), réalisé également par Moustapha Akkad qui se passe cette fois en Libye lorsqu’elle est sous contrôle italien pendant la seconde guerre mondiale. Le film raconte l’histoire d’Omar Mukhtar (magnifiquement interprété par Anthony Quinn), un homme qui décide de se révolter contre le régime de Mussolini.